Ma maison

Ma maison

jeudi 28 juillet 2011

Un dernier regard

Me voilà à nouveau assise sur un plancher fraîchement lavé, dans une pièce dégarnie, au beau milieu des valises à moitié fermées, le cœur gros et l'esprit se préparant chaque instant au défi qui m'attend. Huit mois ont passés et me voilà au bout de la route, à la fin de l'aventure. Depuis deux semaines, je limite mes déplacements et préfère plutôt rester chez moi, pour réfléchir et méditer. J'essaie de limiter les dégâts du choc du retour, qui s'est déjà installé en moi et que je sens remuer constamment. Je tente de libérer mes pensées de cette lourde charge d'émotions mais il me semble inévitable de quitter sans passer par la porte de l'angoisse, du doute, de la tristesse et de la confusionJe repense à tout ce que j'ai vécu ici... 

D'abord j'étais touriste, j'ai visité sans penser que j'allais rester. J'ai posé les yeux sur le Japon et les Japonais avec des yeux d'étrangère et j'ai jugé avec mon esprit et mon bagages de jeune femme québécoise. J'ai réagi fortement aux inégalités entre hommes et femmes, j'ai été profondément choquée par l'attitude de soumission des femmes en public. Pourquoi sentent-elles le besoin de toutes marcher la tête baissées, les épaules et les jambes repliées vers leur corps, mais habillées en bottes plates-formes de cuir vernis, mini jupes et le visage barbouillé de maquillage et de faux-cils, comme pour provoquer par leur apparence parce qu'elles se sentent incapables de le faire à voix haute. Au milieu de toutes ces femmes de cire, je me sentais d'avantage comme un homme et ce sentiment a duré un certain moment.

Mais rapidement les choses se sont mises à bouger pour moi. J'ai trouvé une maison dans un quartier acceptable à quelques stations du centre-ville, je l'ai habillé simplement et m'y suis rapidement senti chez moi. Puis j'ai été professeure. Travailler aussi près d'enfants japonais m'a apporté un enthousiasme et une force que j'ignorais posséder en moi. J'ai ri aux éclats avec ces enfants rigolos et tellement vibrants, à l'opposé de leurs parents. Je n'ai vu dans les yeux d'aucun des parents qui venaient chercher leurs enfants le soir cette étincelle de folie ou ce désir de s'agenouiller par terre et de prendre le temps de jouer un peu avec leurs enfants, ou d'en apprendre sur le bricolage qu'ils avaient fait au cours de la journée ou la chanson qu'ils pratiquaient en classe. Les parents venaient me voir l'air sérieux en me demandant pourquoi je ne donnais pas de devoir à leur enfant de cinq ans. Ici, l'enfance ne dure pas longtemps. Il faut être productif, et tôt. Pas question de faire le fou trop longtemps. J'ai souvent éprouvé tant de peine à voir partir mes élèves avec des parents qui semblaient si inconfortables dans leur rôle de parent. Malgré tout, j'ai bercé des bébés tous les jours pour les endormir, j'ai appris à d'autres à multiplier à la demande des parents, et eux m'ont appris l'origami. Ensemble, nous avons chanté, dansé, joué dans des parcs et nous avons discuté. Travailler avec des enfants est une tâche extrêmement exigeante mais oh combien rafraîchissante. Les enfants m'ont longtemps manqué une fois les avoir quitté. Je pense à certains d'entre eux, particulièrement les moutons noirs ou faiseurs de trouble avec qui j'ai du longtemps discuté à l'extérieur de la classe et conclu des ententes secrètes pour gagner leur attention et moins de distraction. Je pense aussi aux tout petits d'à peine 18 mois qui s'endormaient la tête dans leurs assiettes à l'heure du midi et que je prenais dans mes bras pendant que les autres terminaient leur repas, leur petit corps et leur souffle humide sur ma nuque, leurs petits poings fermés, je les connais à peine mais les aimais tellement. Ce travail m'a rendu malade à plusieurs reprises et m'a épuisé jusqu'à la dernière goutte, mais Dieu que je les ai aimé ces enfants. 


Puis au milieu de mon aventure, j'ai voulu autre chose. Je ressentais ce besoin urgent de ranger les crayons de couleur et les bavettes pour échanger avec les plus vieux. J'avais besoin de cette autre perspective, je voulais converser. Alors j'ai décidé d'enseigner aux adultes. J'ai troqué mes jeans pour un complet et les parcs pour un bureau au dixième étage d'un gratte-ciel. Avec mes nouveaux clients, j'ai appris sur la culture japonaise plus que je ne pourrai jamais le dire. Chaque jour, j'ai rencontré hommes d'affaires retraités, jeunes femmes éduquées, femmes au foyer, employés fatigués, ou Japonais curieux qui payaient des montants astronomiques uniquement pour venir s'asseoir dans mon bureau et échanger avec une étrangère. Au cours de ces leçons, j'ai enseigné parfois avec le plus grand professionnalisme à des clients qui tenaient à s'en tenir au contenu académique des cours, mais dans la majorité des cas, j'ai discuté. À travers les conversations, j'ai pu confirmé mes idées de la culture japonaise, alors que d'autres discussions sont venues corriger ou approfondir mes connaissances, pour clarifier certains préjugés ou rectifier certaines pensées. Avec certains clients, j'ai vraiment développé des relations profondes et honnêtes, qui m'ont nourries plus que n'importe quelle rencontre au cours de mon séjour. J'ai appris que beaucoup, beaucoup d'hommes se tuent au travail chaque jour et sont profondément malheureux, j'ai appris que d'autres ont choisi de faire autrement, et semblent véritablement plus heureux. J'ai appris que beaucoup de femmes considèrent essentiel d'être toujours bien mises et élégantes afin de se frayer une place dans cet univers d'apparence, alors que d'autres, surtout les plus jeunes, rejettent la tradition et choisissent de se couper les cheveux, d'étudier, de lire, de voyager, bref d'agir comme un homme. Je me souviendrai à jamais de chacune de ces femmes modernes qui ont choisi de vivre à contre courant pour se sentir vivantes, pour conserver cette étincelle, cette vie que je retrouvais dans les yeux des enfants à qui j'enseignais. Je lève mon chapeau à leur force et leur détermination, consciente de la difficulté de leur choix de vie. J'ai aussi rencontré beaucoup d'hommes mariés qui m'ont pourchassés et supplier de leur accorder une soirée, et qui m'ont laissé perplexe et profondément mal à l'aise. Mais je doute que ce phénomène ne soit que japonais. 


J'ai marché dans les jardins enchantés de Kyoto, j'ai mangé trop de riz, je me suis promenée à vélo à travers la ville, chaque jour mes yeux étaient grands ouverts et enregistraient tout ce que je voyais, de jeunes écolières en uniformes dans le train me rappelaient ma propre vie de collégienne, des vieillards dans les parcs avec leurs chiens, les parties de baseball dans tous les parcs de la ville à chaque fin de semaine, les célébrations printanières qui ont rassemblées toutes les familles en avril sous les cerisiers en fleurs, le tremblement de terre qui est venu hanté toutes les âmes du pays et qui les hante toujours, les mamans avec deux et parfois trois enfants sur leurs vélos chaque après-midi après l'école, le quotidien japonais qui est devenu le mien pendant un instant et duquel je me détache avec peine depuis quelques semaines. 


Je suis contente de rentrer. Beaucoup de choses me manquent. Je trouve qu'au Québec, beaucoup de gens parlent comme s'ils savaient tout et se permettent souvent de critiquer des faits d'actualité sans jamais être correctement renseignés, je trouve aussi que les Québécois se plaignent trop, mais au moins ils ont une voix. Au moins là d'où je viens les gens se sentent libres de dire ce qu'ils veulent, ce qu'ils ressentent. Ici, la majorité des gens vivent leur vie la bouche cousue, et je trouve cela désolant. J'admire les Japonais pour leur docilité, leur humilité, leur patience, leur discipline, leur force, leur compréhension, mais je leur souhaite du changement. Je leur souhaite de changer la façon dont ils voient le changement et la diversité. Je leur souhaite d'être capables d'accepter la diversité et la différence pour que leur pays fleurisse et s'enrichisse culturellement et socialement. Je leur souhaite d'avoir l'audace un jour d'ouvrir leurs yeux sur le monde, de s'y intéresser réellement, et se mettre au diapason avec la communauté internationale. 


Sayonara, Osaka... à bientôt, Montréal.













                                                                                                                                                             

jeudi 21 juillet 2011

au revoir, en attendant

Tellement d'émotions, de déchirement, et pour écrire, je suis bloquée. Mes mains languissent sur le clavier, je n'arrive pas à formuler une phrase, un paragraphe pour expliciter ce qui m'arrive. Peut-être parce que j'ai le visage trop près du portrait, ou parce que je me protège du mieux possible, secouée au coeur de la tornade qui sévit autour de moi, mais je n'arrive pas à expliquer ce qui se passe depuis la semaine dernière. Aucun adieu n'a été si déchirant, jamais. Dans une dizaine de jours je quitterai le Japon, et à ce moment-là, sans doute, je pourrai écrire. Pour l'instant, je ne peux que mettre en garde les aventurieurs au coeur sensible des conséquences d'un séjour à l'étranger tel que le mien, au Japon, pays où les émotions sont rangées, très très loin, au profit d'une carapace qui permet aux Japonais de mener une vie exigeante et parfois si morne sans être hantés par leur conscience inquiète. Je ne m'aventurerai pas dans les détails de ces propos, pour protéger mon petit coeur fragile jusqu'à ce que je me sente à l'abri, loin de tout ça. 

samedi 2 juillet 2011

La premiere boîte

Lundi j'ai fait ma première boite. Je suis allée la chercher au supermarché de mon quartier, la où je me rends toujours en vélo, la où j'achète tout ce dont j'ai besoin. J'adore cette épicerie. J'y trouve une variété impressionnante d'aliments importés, en mai j'ai même trouvé du sirop d'érable du Québec. Toute l'année, je m'y suis rendu pour acheter tofu, légumes japonais pour faire des うどん (soupes de nouilles et légumes japonais), poissons, thé, mais aussi confiture Bonne Mère, beurre d'arachide Skippy (denrée rare à Osaka), Oréo et petits plaisirs gastronomiques du genre. Les premières fois que je m'y suis rendue, j'étais étourdie par la pollution auditive de la place. Devant chaque comptoir de viande, de sushis, de légumes, de repas préfaits, d'alcool, joue à tue tête une musique aiguë électronique pré-enregistrée, sans intermittence du matin au soir . Il faut être extrêmement zen pour s'aventurer dans ce genre d'épicerie.

La boîte, donc. J'ai demandé à un employé d'aller me chercher une boîte en carton qui traînait dans leur garage, inaccessible au public, et il est gentiment revenu quelques minutes plus tard avec quatre nouvelles, propres et grandes boîtes brunes pour moi. Ah, la joie d'être jeune et blonde au Japon.

Il m'a fallu deux fois plus temps qu'à l'habitude pour me rendre jusqu'à la maison en vélo avec toutes ces grosses boîtes dans les bras, j'ai presque roulé sur un chien et foncé dans un petit garçon, mais je me suis rendue au bercail malgré tout.

Une fois à la maison, je les ai déposé au sol et je les ai contemplé. Les fameuses boîtes brunes. Comment les aimer. Toujours associées à un départ, à un déchirement, à la fin de quelque chose. Afin de vivre plus harmonieusement ensemble sous le même toit, il m'a fallu les dissimuler derrière mon frigo. Sauf une, la plus grosse, que j'ai monté. Je l'ai remplie de vêtements d'hiver à toute vitesse et je l'ai scellée aussitôt. Même complètement pleine, on ne peut à peine remarquer de mon garde-robe s'est allégé. Je n'avais pas réalisé à quel point j'avais accumulé ici. Et je redoute le moment j'entamerai la vente de mes meubles, ma maison se dégarnira malgré moi, je devrai laisser à d'autres les choses qui font partie de mon quotidien,de mon chez moi.

Hier, j'attendais le train pour rentrer chez moi vers 23 heures, à la station centrale du centre ville ou je me rends quotidiennement pour travailler, et j'admirais la bâtisse je travaille du quai de la gare. J'ai eu une envie soudaine de me mettre à pleurer en pensant à cette vie si bonne pour moi, que je devrai quitter dans une vingtaine de jours. Je retenais mes larmes avec effort, et puis j'ai pensé aux Japonais. À leur docilité et leur sens de la repartie. Je me suis entendue me dire "fais une Japonaise de toi et ressaisie-toi". Si j'ai appris quelque chose de ce peuple, c'est de faire ce qu'il se doit, et non de me laisser porter par mes sentiments. Trop souvent je me suis retrouvée en mille miettes parce que j'ai laisse mon cœur me guider. Ici, j'ai tellement souvent été témoin du contraire, j'ai fini par me trouver ridicule. Au nom de cette expérience, au nom de mon amour pour ce peuple, j'ai choisi faire l'effort d'être plus forte que ma peine,  d'aller je dois et de ce faire ce que dois. Évidemment, ce genre d'attitude rend les au revoir beaucoup moins romancés, mais me gardent la tête froide.

Après tout, ces boites brunes qui m'attendent au fond de la cuisine ne sont que des morceaux de carton. Et elles ne représentent rien de plus qu'un pas de plus dans une autre direction. Une direction que j'ai choisi. Il faut apprendre à dire au revoir pour avancer. Au fil du temps, j'apprends à vivre avec ce concept.

samedi 18 juin 2011

Quand l'oiseau trouve son nid

Le temps était gris, le train avançait silencieusement à travers un mur de brume, et dans mon wagon, pas un bruit. Les gens somnolaient ou jouaient avec leur téléphone. La fenêtre au dessus de ma tête était entrouverte, et un léger vent me soufflait dans les cheveux. L'air a changé. Dehors, je retrouve les mêmes odeurs que lors de mon premier voyage en Asie. La première fois que j'ai mis les pieds en Asie, c'était à Bangkok. Pour la première fois, j'inspirais des pot-pourris d'odeurs qui deviendraient plus tard pour moi, l'odeur caractéristique de 'l'Asie'.
En sortant du train, il faisait presque noir. En attendant ma lumière verte au coin de la rue, j'ai remarqué que l'air était salin. Comme si j'étais à la mer. Parfois, quand le vent tourne, l'odeur du port d'Osaka, à quelques minutes de chez moi, devient forte. Comme il est agréable de respirer à plein nez l'air de la mer alors je me marche sous les rails de train terriblement bruyantes. Mon parapluie me protège à peine de la pluie délinquante qui vient de tous les sens. Le temps est presque frais, à peine humide malgré la pluie.

Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon sentiment de désarroi et d'impuissance face à mon départ imminent. Quand un nomade met finalement les pieds à quelque part ou il fait bon être, à quelque part ou il ne se sent finalement plus étranger, doit-il continuer sa route ou s'arrêter?

La brume épaisse semble s'être emparée de mes pensées en même temps que la ville. Mon cœur me prie de rester, et ma tête ne sait plus quoi me dire. Elle semble avoir épuisée tous ses arguments. Je sais ce qui m'attend, le déchirement de lâcher la main à une chose qui m'apporte tant de bonheur, quitter les bras dans lesquels je suis si bien. À Montréal je survis, mais en Europe je vis et en Asie je fleuris.

Je laisse la pluie couler sur mes cheveux ondulés et se mêler à mes larmes salées, comme l'air que je respire.

jeudi 16 juin 2011

moment de grâce

Moment de grâce au beau milieu d'un jardin japonais, derrière un temple bouddhiste, un lundi après-midi d'été à Kyoto.

Au beau milieu d'une étendue d'eau, debout sur une pierre, je me faisais la plus petite possible pour observer les carpes se faire dorer le dos a la surface de l'eau, pour entendre le croassement des grenouilles dissimulées dans l'herbe tout près de moi, le gazouillement des oiseaux sur les branches, au dessus de ma tête. En tournant la tête, mes yeux se sont posés sur une tortue grise, qui se reposait, le corps coincé entre deux roches, dans un ruisseau où coulait de l'eau claire. Le soleil me réchauffait la nuque, l'absence de bruit urbain faisait bourdonner mes oreilles.

Assises au milieu d'un grand pont couvert à quelques mètres de moi, quatre vieilles japonaises, toutes coquettes avec leurs foulards de soie autour du cou, leur sac de cuir vernis et leur tout petit souliers, potinaient a voix basse pour passer le temps. Aucun autre témoin de cette scène magique que moi et elles. Je me sentais comme une intrus dans leur jardin secret. Je les ai rejoins, me suis assise près d'elles et j'ai admiré la vue en silence. De grand arbres aux feuilles vertes et rouges, des fleurs de couleurs pastel, des sentiers entre les bassins d'eau, un héron chassant habilement ses proies sur le rivage, des poissons orange et blanc, les rayons du soleil qui faisaient scintiller la surface de l'eau, un léger vent qui venait rafraichir cette journée chaude de juin. Mes sens étaient comblés et ma tête était remplie et vide a la fois.

Je me suis rappelé la dernière fois ou je m'étais sentie aussi sereine. J'avais 15 ans. J'étais assise dans un autobus voyageur, après une sortie de ski avec les élèves de mon niveau. Près de 17h, nous avancions vers le soleil qui se couchait et qui illuminait le ciel de rayons roses et jaunes. Je me souviens de ce moment comme si je l'avais vécu hier. J'avais dans les oreilles Babylon de David Gray, mes joues me piquaient en se réchauffant, ma tête était posée contre la vitre de l'autobus, et quelque chose s'est emparé de moi et a traversé mon corps comme un éclair. J'ai senti le bonheur le plus vrai, le plus beau m'envahir. J'ai vécu un instant de bonheur pur par surprise, et comme un papillon posé sur une épaule, avant même que j'aie le temps d'identifier le moment pour tenter de le capturer, il s'est faufilé doucement entre mes pensées et s'est dissipé.

Depuis, je parcours le monde la recherche de cet exact sentiment, qui est le plus authentique qui soit. Et voilà que huit ans plus tard, seule et perdue dans mes pensées une fois de plus, j'ai vu ce même moment se pointer le bout du nez, me sourire, me laisser le contempler quelques instants, pour me glisser des doigts.

Je me suis demandé si c'était ça la méditation. Apprendre à retrouver cet instant, apprendre à l'apprivoiser pour le conserver. C'est peut-être ça, l'art du bonheur.









samedi 4 juin 2011

Le plaisir ne fait que commencer

Je marchais à grands pas dehors dans la nuit fraiche, le manteau du bout de mes bras, me servant de parapluie jusqu’au premier taxi. Il faisait chaud, les goutelettes d’eau arrosaient mes mains, mes pieds étaient mouillés. Je sortais d’une boîte de karaoke ou j’avais passé une partie de la nuit avec des amis, après un repas dans un restaurant traditionnel japonais, un izakaya. Ma première expérience complètement japonaise. Entourée d’amis japonais, accroupie autour d’une table basse dans une petite salle remplie de tatamis, dans un restaurant ou des dizaines de collègues, en bas, le visage et les oreilles écarlates, dans les salles voisines, faisaient tous la même chose que moi. Les gens parlaient fort, buvaient trop, et s’amusaient sans penser au lendemain. J’étais assise là, au beau milieu de cette pièce, prise d’un de ces moment de plus en plus rares ou j’arrive à m’extirper de l’instant pour avoir une vue d’ensemble. Qui aurait cru. Qui aurait pu prévoir que je me sente si bien, si chez moi, au milieu de tout ça. Absolument rien de ce décor ne me semblait gênant ou éblouissant. J’étais là, je souriais, j’écoutais, je faisais quelque blagues avec ma voisine de droite, je sirotais ma bière, grande buveuse que je suis. Je ne suis plus souvent observatrice du décor dans lequel je me fonds depuis les derniers mois, mais bien participante. Je suis parvenue à m’intégrer dans un monde que j’arrivais à peine à comprendre au début de l’hiver. Je suis parvenue à une étape de mon expérience ou je ne cherche plus à tout comprendre, à tout analyser à plus grande échelle. Les rencontres que je fais en tant que professeure sont si enrichissantes et diverses, je ne me permets plus de mettre les Japonais dans le même panier. J’ai le sentiment, pour l’une des rares fois dans ma vie, que tout est à sa place. Que je fais la bonne chose au bon endroit, et que rien autre importe. Je suis bien dans rien. Bien assise dans le train, à regarder le soleil rouge de juin se coucher près du Port d’Osaka, près de la maison. Je suis bien quand je rentre tard le soir dans mon appartement noir et que j’aperçois la grande roue d’Osaka scintiller au loin entre les blocs appartements, dans une des fenêtres de ma porte patio. Je suis bien quand je sens le regard insistant d’une vieille Japonaise ou d’un enfant sur moi, et que je ne me questionne plus sur ce qui cloche possiblement chez moi. Je suis bien à vélo, enfouie sous mes sacs d’épicerie, croisant une maman ou un papa, transportant sur son vélo sa famille au grand complet et ses courses. Je suis bien au travail, le visage appuyé sur une main, absorbée par les histoires qu’osent me raconter mes clients, un sourire espiègle sur les lèvres. Mais parfois je m’éveille la nuit, en sueur et le souffle court, pour m’assurer que je suis toujours ici. Mon départ me guettera toujours, du coin de l’oeil caché derrière un mur. Je sens sa présence mais joue la carte du déni pour continuer à apprécier pleinement ce que je vis ici. Mais le temps file. Le temps passe si vite et le sablier se vide, n’arrête jamais.

J’ai tellement appris que chaque bonne chose a une fin, mais je ne m’habitue jamais à dire au revoir à ce qui m’apporte tant de bonheur. J’aimerais être de ceux qui profitent sans s’attacher, mais je suis tombée dans la chaudière de la passion à ma naissance, l’attachement coule dans mes veines. Mais sommes-nous uniquement capables d’apprécier aussi bien les choses que nous savons perdues d’avance? Ma vie s’est chargée bien souvent de confirmer cette hypothèse. Je sais aussi que la seule façon que j’aie trouvé pour contrer ou attiser l’ampleur de mes émotions lors d’un départ est de plonger dans autre chose. Seulement cette fois-ci, je dois avouer que la motivation me manque. Ce que j’ai trouvé ici m’empêche de penser au prochain saut. Est-ce que le fait de vivre le bonheur du moment présent ne serait pas un couteau à double tranchants, empêchant du coup l’être de vouloir plus, donc de cultiver de nouvelles ambitions?

Au milieu de ces interrogations brille une perle rare, chaque jour elle brille et j’ignore combien de temps cela durera, mais je me compte chanceuse de même l’avoir aperçue ici, celle du bonheur. Rien de plus, rien de moins.

mardi 17 mai 2011

L'herbe n'est pas plus verte chez le voisin

Je pense qu’un des grands défis de l’homme moderne est de vivre dans le présent, satisfait de ce qu’il a. Enfants, nous rêvons être « grands ». L’idée d’indépendance semble si alléchante, nous souhaitons un portefeuille garni, la liberté d’aller ou l’on veut, quand on le veut. Entre eux, les enfants s’imaginent parents, avec une profession. Les fillettes rêvent de talons hauts et les garçons de complets et cravates. Devenus adolescents, on s’accroche au futur pour passer à travers ces années difficiles de questionnements et de révolte. Puis adultes, on buche. Chaque jour, on travaille avec en tête le rêve d’une voiture, d’une maison, d’une famille, de vacances. Puis une fois tous ces projets au creux de nos mains, on se met à regarder derrière. On envie ces jeunes adultes qui ont toute la vie devant eux, qui semblent nonchalants. Plus les rides s’entassent sur notre visage, plus la mélancolie s’empare de nos pensées et nos discussions. Doucement, notre vie se met à être vécue à travers celles de nos enfants et petits-enfants.

Mais quand sommes-nous vraiment là, dans le moment, à ne penser à rien d’autre qu’au présent? Je réalise que la majorité de mes conversations ont le futur en vedette, que mes pensées sont constamment monopolisées par mes désirs ou projets. Certains parleront d’ambition, d’autres d’insatisfaction. Mais comment demeurer ambitieux sans vivre dans l’attente constante que quelque chose de mieux ou de nouveau croise notre chemin? Au Japon, je dispose de beaucoup plus de temps pour réfléchir à tout ça. Et je réalise que la recette pour un bonheur vrai, simple et durable est constituée d’acceptation et de sérénité. L’homme avec qui je vis me le rappelle sans cesse. Lui ne vit jamais ailleurs que dans le moment présent. Et son bonheur est véritable et non éphémère. Il se dit athée mais sa philosophie tient beaucoup de la pensée bouddhiste. Et je réalise que les moments qui ont été source de bonheur ont souvent été comme cet autre soir, ou après une balade en vélo dans Shinsaibashi, le quartier coloré et dynamique du centre-ville d’Osaka, j’ai marché longtemps près de la fameuse rivière, le long des multiples restaurants et des commerces, l'air paisible et sans penser à rien. Mes pensées ne mijotaient rien, on dirait qu’elles avaient toutes cessé de gigoter pour admirer ce rare instant. Comme j’étais bien, comme je voulais que le moment s’éternise. Alors j’essaie de m’exercer plus souvent à reposer cette tête qui semble rarement se satisfaire d’un rien, pour lui faire comprendre que si je suis constamment à la recherche de quelque d’autre ou de quelque chose d’extraordinaire, je risque de manquer le bateau du bien-être et de la sérénité.

Je trouve difficile cette pratique. Cesser les comparaisons et vivre avec ce que je suis et ce que j’ai, rien de plus. Aller à contre courant d’une société qui nous pousse à toujours vouloir plus, se boucher les oreilles pour écouter sa conscience crier d’arrêter tout ça, que l’on s’éloigne du but.

Bien sûr que j’ai toujours des projets. Je suis à l’âge ou la toile de ma vie semble soudainement devenir de plus en plus claire, et comme un peintre pris d’une illumination, je travaille frénétiquement, changeant de pinceaux rapidement, souhaitant parfois avoir quelques mains de plus pour faire progresser l’œuvre plus rapidement, pendant que le momentum perdure. Mais aujourd’hui, je veux apprendre à apprécier le processus de création, et non le produit fini. Je n’ai pas appris à travailler ainsi, mais je suis prête à essayer, au nom du bonheur.

Je me souviens avoir eu les mêmes réflexions l’été des mes seize ans, alors que je marchais dans les montagnes appalachiennes. Chaque jour, j’étais inondée de prises de conscience semblables sur ma vie, et la façon dont je devrais la mener. À mon retour à la civilisation, je me suis sentie tellement différente, mais tellement sereine à la fois. Cette fois, je veux m’efforcer d’appliquer ce que je réalise ici. Taper ces pensées à l’écran se veut une sorte de contrat, pour m’obliger à ne pas oublier.

mardi 10 mai 2011

This new life of mine

Mai. Le climat à Osaka s’est soudainement métamorphosé, l’humidité a même réussi à faire friser mes cheveux plus que plats. Dehors, l’air est lourd. L’été dont on m’avait tant parlé se pointe finalement le bout du nez.

J’ai peine à croire tout ce temps qui s’est écoulé. Je suis incrédule devant le chemin parcouru au cours des derniers mois, devant ce projet qui a donné naissance à une nouvelle personne. Cette évolution si rapide a agi comme un coup de vent dans ma vie, a balayé tout ce que je croyais solide et durement imprégné dans mon être, pour faire éclore dans ma conscience d’autres façons de voir les choses, de réagir face aux évènements dans ma vie.

Ma vie ici, je l’ai souvent dit, est faite d’un quotidien simple, mais source d’un bonheur pur. Je repense à ma vie à Montréal, si compliquée pour rien, j’éprouve une sérieuse inquiétude quant à mon retour. Je sais que je dois revenir. Je dois poursuivre mes études, lancer ma carrière et continuer ma vie montréalaise là ou je l’ai laissé. Mais la plus grande part de moi refuse de s’y replonger. Tellement de choses ont changé. Comment reconnaître son quartier, son école, ses amis, même sa famille, quand se sent tellement loin de tout ça. Comment reconnecter le fantôme de ce que l’on était avec un environnement dans lequel on doit se réinsérer. Je connais l’inconfort et l’insécurité qui accompagneront mon retour. J’ai le souvenir plus qu’amer de mon retour au bercail après une absence de huit mois outre-mer. Tant de nuits passées à pleurer, sous les couvertures d’un lit dans lequel on cherche un réconfort qui tarde à se pointer.

Il est trop tard pour reculer. Le temps avance, je jouis du plus innocent des bonheurs quotidiens ici, dans la nouvelle vie que je me suis construite à la sueur de mon front, et je ne sais pas comment me préparer à quitter. Comment ouvrir les valises et tenter de les remplir de tout ce que je refuse de laisser derrière. Aucun bagage ne sera assez grand pour rapporter avec lui tout ce que j’apprends ici, tout ce que je vois et qui me fait sourire, tout ce que je réalise. Encore une fois, mon avion posera ses roues sur le sol d’une terre que je ne connais plus trop bien, encore une fois je m’immobiliserai au milieu du grand corridor de l’aéroport, le souffle court et les joues barbouillées de larmes, juste avant le bureau des douanes. Celui qui me rappelle que je suis loin. Loin de la maison et du pays qui sont devenus ma maison, mon refuge. Le douanier, avec son cœur de pierre, ne verra dans mon état paniqué que le signe d’un mensonge mal dissipé. Non monsieur l’agent, je ne transporte pas de substances illégales. Je suis bouleversée. Je me sens comme un enfant qui perd sa maman dans un centre commercial ; je suis désorientée, j’essaie de penser à une stratégie, un moyen de secouer ma terreur, mais tout ce que je réussis à faire, c’est retenir mes larmes et faire grossir cet énorme nœud qui se forme au milieu de ma gorge.

Mais tout n’est pas fini. Et même si ces pensées deviennent de plus en plus difficiles à chasser, je préfère les ignorer pour l’instant. Évitons de mettre la charrue avant les bœufs : voilà une autre leçon que ce voyage m’apprend à appliquer.

mercredi 4 mai 2011

La face cachée du Japon

Je me tenais devant les fenêtres donnant sur l’hôtel Hilton, un soir au travail il y a quelques jours. Au même étage que moi, dans une des chambres, se tenait un homme. Il était là au milieu des ses fenêtres grandes ouvertes, les cheveux dans le vent, le torse nu, et admirait comme moi le spectacle fabuleux d’un soir de semaine au centre-ville d’Osaka. Je le regardais poser son regard sur les mêmes choses que moi, s’attarder aux mêmes détails que moi, une femme en robe longue, les lumières scintillantes des panneaux publicitaires et des Pachinko, de jeunes adolescents au style excentrique traversant la rue. Nous regardions les mêmes choses mais pourtant, nous ne voyions rien de la même façon. Homme d’affaires venu ici le temps d’une réunion, ou voyageur au portefeuille généreux, cet homme voyait peut-être cette ville comme je l’ai autrefois aperçue. Une ville intimidante, éclectique, efficace. En décembre, j’aurais pu me tenir à droite de cet homme, et nous aurions vu les mêmes choses, nous aurions peut-être eu les mêmes réflexions. Mais voilà que je me tenais de l’autre côté de la rue cette fois, du côté de la réalité, comme un homme qui aperçoit son amante pour la première fois, après une soirée, démaquillée, sans talons hauts, les cheveux défaits, sans robe longue ni bijoux, et qui se dit que c’est pas aussi magnifique comme ça, mais que ça lui va, qu’il est bien et qu’il sait à quoi s’attendre.

Les Japonais que je rencontre depuis que j’ai entamé mon nouveau boulot me surprennent tellement. Les discussions que j’ai eues lors de certaines leçons m’ont décontenancée et me laissent parfois bouleversée. Je pensais me heurter au problème de l’inégalité des sexes et de l’âge en tant que jeune Américaine blonde, au visage qui ne peut rien cacher et aux yeux trop honnêtes, mais la sincérité de mon être et ma différence évidente avec certains clients ne nous a que servi ne pont magique pour lier deux univers, pour se comprendre, se confier, s’expliquer et s’accepter.

Monsieur Yamada, cet homme dans la soixantaine, m’est arrivé un jour ou je n’avais que la moitié de ma tête au boulot. J’avais laissé l’autre quelque part entre mes draps et mon matelas, faute de sommeil réparateur. Au premier regard, nous n’avions aucune raison de croire qu’une chimie aurait pu s’installer entre nous. Plus petit que moi, les cheveux gris, le visage et le bedon rond mais le complet parfaitement ajusté et agencé (comme tout bon Japonais), il travaille étroitement avec les membres importants du gouvernement japonais. Moi, les cheveux et la chemise fripés, légèrement maquillée, les manches retroussées, j’avais déjà hâte que la leçon se termine. Dès les premières minutes de la leçon, j’ai oublié la notion du temps. La gentillesse, la douceur et le sens de l’humour de cet homme m’ont pris par surprise, et m’ont rapidement permis d’ajuster mes propos afin de lui donner la meilleure leçon possible. Monsieur Yamada aime m’entendre parler du Japon. Il sourit lorsque je lui raconte comment je me sens parfois, comme un zombie dans une salle de bal, ou comme un clown à des funérailles. Il ne me juge jamais. Je le vois dans ses yeux. Son regard est rempli d’une compassion profonde pour ce que je vis, ce que je ressens. Il me donne des conseils, me revient la leçon suivante avec une adresse, un restaurant, un spectacle à aller voir. Il m’a fait promettre de ne pas aller à Tokyo, du moins pour quelques temps. Je lui ai promis.

Une cliente arrive un soir, vers 22 heures, heure de ma dernière leçon. Elle s’excuse pour son retard et m’explique du mieux qu’elle peut que sa compagnie vit une crise importante depuis le 11 mars. Depuis l’évènement. Depuis le tsunami. Parfois j’hésite à en parler. J’ai peur de blesser, ou de choquer. Mais jamais depuis cet incident, jamais un client s’est retenu de se prononcer sur la situation, sur ses craintes ou ses frustrations. Cette cliente m’a dit, le feu dans les yeux, qu’elle trouvait le gouvernement stupide ne pas appuyer des compagnies comme la sienne, qui nécessitent un support important dans des temps de crise comme ceux-là. Puis elle s’est arrêtée de parler. Elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a demandé ‘why are you still here, why don’t you go. I don’t blame people for leaving. I would like to go back home too if Japan wasn’t my country’. Tout de suite, la question m’a pincé le cœur. Pourquoi étais-je encore ici. J’y avais pensé à cette question, et je m’étais bien assurée d’y répondre, pour moi-même, pour m’assurer que ma décision reposait sur une réflexion. Alors j’ai fait comme je fais depuis que j’enseigne, j’ai été honnête. Je comprends et n’oublierai jamais le niveau de respect des Japonais envers eux-mêmes et envers les autres, je n’aurai jamais peur d’expliciter mes croyances ici. Je lui ai dit que j’étais venu ici avec deux valises un soir de décembre, et que je m’étais bâtie une vie et une maison. Que cette vie que je vivais depuis quelques mois était comme une petite graine que j’avais plantée dans le sol, et que je voyais doucement grandir à chaque jour. J’étais trop curieuse de voir de quoi elle aurait l’air pour la laisser seule. Je lui ai dit que, même si j’ai trouvé le Japon bien difficile à décrypter, je me sens chez moi, ici à Osaka. J’aime Osaka. Mon cœur est ici. Je ne pouvais tout simplement pas tirer mes valises hors de mon garde-robe, plier quelques chandails et deux ou trois souvenirs, et sauter dans un avion. Je lui ai dit que partir ainsi serait sans doute le plus gros regret de toute ma vie, et que j’aimais mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets. J’ai retenu mes larmes seulement jusqu’à ce que j’aperçoive les siennes couler doucement le long de ses joues. Trois fois elle m’a dit tout bas ‘thank you’. À ce moment, je me sentais plus Japonaise que les geishas de Kyoto. J’avais la gorge nouée et les yeux pleins d’eau, je me sentais bien.

Ces deux clients ne sont que deux exemples des rencontres extraordinaires que je fais chaque jour. Les gens s’assoient devant moi, me serrent la main parce qu’ils tiennent à s’ajuster aux conventions de politesse que je connais, et ils me sourient. Leurs sourires alimentent ma passion pour ce travail. Ils me posent des questions, veulent savoir d’où je suis, pourquoi le Japon, ce que j’aime, ou je suis allée. Lorsque je leur pose des questions, ils répondent rapidement et poliment, mais tout-de-suite, veulent savoir autre chose à propos de moi.

Aujourd’hui, un de mes clients est arrivé à mon bureau habillé tout de noir. Il avait assisté un peu plus tôt aux funérailles de son premier patron, devenu son mentor et son bon ami. Il m’a dit qu’il avait pleuré tout l’après-midi. Il s’est assis devant moi, et il voulait me parler de son ami. Aujourd’hui, ce n’est même plus la professeure d’anglais qui importait, ni le cours lui-même, ni l’argent qu’il avait payé pour venir s’asseoir avec moi, mais seulement cet instant. Un vieux Japonais et une jeune Canadienne se souriaient. Il parlait, et quand il bloquait sur un mot, je le devinais. À la fin de la leçon, au lieu de me remercier pour la leçon, il m’a serré la main et m’a dit ‘thank you for your kindness today’.

Je n’aurais pas pu demander mieux que d’être ici, et de quotidiennement pouvoir échanger dans la plus grande sincérité avec ces gens au grand cœur. Ce que je trouve dans les yeux de ces gens, dans l’intimité de mes leçons, j’aimerais pouvoir le sceller dans une bouteille de verre, et le regarder quand mon espoir en l’humanité maigrit.

dimanche 24 avril 2011

Ces derniers temps

Il me devient de plus en plus difficile de rédiger ces textes récemment. Mes sentiments sont de plus en plus difficilement descriptibles, j’ai l’impression que de moins en moins de gens pourront lire et comprendre de quoi je parle. Quand j’ai la chance de parler avec mes proches à Montréal, il me semble que pour chacun de leur jour, j’en vis trois. Ce que je vis ici n’a pas de mot. Aucune des phrases que je tape ne porte en elle la grandeur de cette expérience, de cette nouvelle vie que je me suis bâtie. Ce que je vis n’est pas un voyage.

J’ai mis les pieds ici il y a quatre mois maintenant, le dernier jour de l’an dernier, les cernes aux yeux, je croulais sous le poids de mes valises, je marchais dans la noirceur de Dobutsen-mae, le quartier le plus redoutable de la ville, à la recherche de l’hôtel le moins cher sur le marché.

Comme une araignée, j’ai regardé dans le vide, là ou il n’y avait rien, et je me suis lancée dans le vide pour construire quelque chose. Les premiers instants, j’avais l’impression que mes efforts n’aboutissaient à rien, puis en l’espace de deux semaines, j’ai tissé une maison, un boulot. Puis avec le temps j’ai rencontré des gens qui font aujourd’hui partie de mon quotidien. J’ai construit un monde nouveau, à l’autre bout du mien, constitué des choses les plus simples. Seulement quatre mois se sont écoulés depuis mon arrivée au Japon mais l’idée de penser à ma vie ailleurs qu’ici me semble étrange. Je suis plus qu’habituée à être entourée de Japonais en complets noirs, leur présence m’est plaisante et rassurante. Cette trame de fond est maintenant la mienne, je m’y noie avec aisance. Mon nouveau boulot me permet maintenant de converser avec ces hommes à qui j’ai souvent reproché de vivre sans âme, et je réalise toute la lourdeur du travail sur leurs épaules, leur envie de vivre autre chose et de partir ailleurs recommencer à zéro, comme moi. Avec eux, je ris, je partage des opinions, je les écoute me raconter leur vie et j’ose parfois laisser quelques détails de la mienne s’échapper. J’ai développé un attachement et une compassion profonde pour ce peuple. J’aime leur sourire, j’aime leur innocence, j’aime leur curiosité sans bornes, j’aime leur maladresse. Je comprends leur discipline et leur résilience maintenant que j’ai écouté tant d’hommes me confier le malheur d’un quotidien trop chargé, duquel ils ne peuvent plus échapper. Chaque jour, je passe les portes du prestigieux bâtiment dans lequel je travaille entre deux bâillements, un peu lasse. Et chaque soir, j’y sors la tête complètement nourrie et rafraîchie. Chacun des échanges auquel je prends part au travail est une source d’enrichissement tellement précieuse à mes yeux. C’est à travers chaque histoire, chacune de ces vies que je rencontre, que ma vie au Japon prend tout son sens. Je suis heureuse parmi ces Japonais si rigides de l’extérieur, mais parfois si fous à l’intérieur. Je ne suis pas surprise de m’entendre si bien avec eux, je les fais sourire et eux me font parfois pleurer de rire.

Ceux qui me connaissent savent que je suis un être passionné, et que je ne peux tenir dans mon cœur deux amours simultanément. Aujourd'hui, je lâche la main de Montréal et lui dit au revoir, afin de vivre mieux ici. Montréal fait partie de mon passé, mais le Japon dessine mon présent. Inutile de penser au futur.

Je m’attache profondément à cette vie. Je suis fière de ce que j’ai bâti si rapidement, et je suis excitée de voir ce que je cette deuxième fraction de mon voyage m’apportera.

mardi 12 avril 2011

Quelque chose a changé

Hier soir, un de mes clients ne s’est pas présenté. Il était 20 heures, j’avais une quarantaine de minutes devant moi, mes cours jusqu’à 22h40 étaient déjà préparés, j’avais donc du temps pour moi. Je suis sortie de mon bureau, j’ai marché quelques pas jusqu’au mur tapissés de fenêtres, je me suis arrêté, j’ai mis les mains dans les poches de mon pantalon, et j’ai regardé. J’ai regardé la ville sous le ciel bleu foncé, du dixième étage du gratte-ciel dans lequel je travaille maintenant. J’ai baissé les yeux pour observer les hommes et femmes d’affaires dans leurs complets identiques, traverser d’un pas rapide l’une des plus importantes intersections de la ville. J’ai regardé les autres gratte-ciels, ou travaillent encore à cette heure beaucoup d’employés. Les bâtisses à cette heure grouillent encore d’agitation, et les lumières jaunes des bureaux décorent chaque immeuble comme des bougies dans un sapin de Noël ; un peu partout, à chaque étage, de haut en bas. Du haut de mon bureau, je peux admirer toute l’action du centre-ville et me sentir complètement protégée de cette hyperactivité constante, du haut de mes dix étages, bercée par une douce musique jazz, sous un éclairage tamisé.
Quelque chose a changé. Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis plus la même. Les dernières semaines ont été très difficiles pour moi ; je me sentais prisonnière de cette ville, de ce pays, je ne savais plus quoi faire de mon corps, j’avais besoin de m’envoler. Mais je suis restée. Et comme un serpent, j’ai l’impression d’avoir mué, d’être toujours la même, mais plus tout-à-fait. Et je me sens bien. Je me sens légère. J’apprivoise ce nouveau sentiment sans trop m’y attarder. Comment s’est-t-il posé au fond de moi, si doucement que je ne l’ai même pas entendu cogner? Aujourd’hui, c’est un sentiment d’acceptation qui m’habite. Tout semble familier autour de moi, je cherche parfois un signe, un visage, une parole pour me rappeler que je suis loin, mais je ne suis pas loin, je suis ici, chez moi, je marche dans cette ville, avec aisance. Si je ne m’étais jamais vu dans un miroir, je m’imaginerais semblable aux Japonaises que je croise tous les jours. Je ne suis plus un caméléon, je suis véritablement imprégnée dans cette culture.

Ne pas penser au retour. Je pas penser au choc de retrouver ce qui m’allait si bien sur cet autre continent, et qui m’apportera un profond inconfort lorsque j’essaierai de sauter dans le moule de la personne que je ne suis plus. Ma vie est ici, ma maison, c’est au quatrième étage de ce bloc appartement sombre et gris, près du parc à cerisiers et donnant sur l’autoroute bruyante, et plus loin, sur la grande roue du port d’Osaka. Mes amis, ce sont Tenzin du Bhoutan, Vittorio de Régina, Nelis de l’Afrique du Sud, Liz de l’Angleterre, Allen du Texas, Huy du Vietnam.

Quant on voyage, on veut découvrir. On veut faire des rencontres et voir de belles choses. Mais on oublie souvent qu’un voyage, ça change. Ça change notre perception du monde, notre façon de réagir, parfois même notre façon de penser. Ça nous apprend la tolérance, le courage, la persévérance, l’ouverture. Je pense que profondément, c’est lorsque je me sens confortable à quelque part que je sais qu’il est temps de plier bagages, parce que j’ai tellement à apprendre, parce que je n’ai pas fini de me mettre au défi. Mais pour l’instant, je vogue sur cette harmonie que j’ai enfin trouvé ici, et qui semble là pour rester, enfin pour le moment.



le temps des cerisiers au Japon

dimanche 3 avril 2011

Choc culturel ; trois mois plus tard

Partir. Partir ailleurs pour vivre autre chose. Découvrir, nourrir sa tête de nouvelles images, de nouveaux langages, de nouveauté. Partir pour se sentir loin et bien, pour respirer de nouvelles odeurs, pour sentir les rayons du soleil sur son corps d’une manière différente, pour voir des peuples vivre à leur manière. Partir pour mieux revenir peut-être. Tant de raisons de plier bagages et se lancer dans le vide.
J’aime de plus en plus les aéroports parce que pour moi, ils riment avec aventure, avec surprises, avec rencontres, avec découvertes. Et à travers ces sentiments, je jouis du seul fait d’exister.
Aujourd’hui plus de trois mois que je suis ici, au Japon, et que je mène une vie relativement normale. Comme tout le monde, je travaille, je cours les rabais à l’épicerie, je fais la sardine dans le train, je me demande quand l’été et les fleurs de cerisiers se pointeront définitivement, je mange beaucoup trop de riz blanc et de sucreries. Je trouve de plus en plus difficile de m’extirper de mes gestes quotidiens pour prendre conscience de tout le chemin parcouru jusqu’ici, de tout ce que j’ai accompli depuis que mes pieds se sont posés à Osaka, le 31 décembre dernier. Je ressens aujourd’hui beaucoup moins d’excitation, mais une certaine aise à vivre ici, même un certain engourdissement. Et cet engourdissement me fait peur. J’ai l’impression qu’à force de vivre dans cette ville dont l’âme se fait bien maigre, je perds la mienne. J’ai l’impression de m’être perdue à quelque part entre cette histoire de tremblements de terre et un quart de travail. Peut-être aussi que l’incroyable solitude des gens ici et leur aise à vivre renfermés sur leur conscience, les uns collés sur les autres, me rend inconfortable. Je me suis toujours considérée comme quelqu’un de plutôt indépendante et solitaire, j’ai toujours eu besoin de temps seule pour souffler, expirer, réfléchir sans devoir tenter de tout mettre en mots, me comprendre dans mes pensées. Mais on dirait que les Japonais entretiennent cette solitude comme par peur d’agir en groupes, peur de se prononcer, peur de faire un faux-pas ou par peur du jugement. Je sens que je dois combattre cette envie qu’a parfois ma conscience de se replier sur elle-même, parce que c’est si facile, parce qu’ici c’est comme ça.
Au cours des derniers jours, je me suis souvent surprise à rêver de la Thaïlande, cet endroit qui a marqué à jamais mon être en me faisant vivre des moments extraordinairement simples mais tellement colorés, m’offrant du coup un bonheur rempli de presque rien. Je veux me promener en motocyclette une autre fois, au bord de la mer, je veux me sentir vivante à nouveau, comme je m’étais sentie une fois, un masque et un tube au visage, des palmes dans les pieds, au milieu de des dizaines de bandes différentes de poissons, nageant dans une eau transparente, seule dans une baie turquoise, sentant la chaleur des rayons du soleil me réchauffer la nuque. Je veux posséder une autre fois le sentiment de liberté totale ressentie, en moto, perdue à travers les nuages cotonneux des hautes montagnes du Vietnam, sentant les gouttelettes du ciel se déposer sur mon visage alors que je les traverse.
Ce voyage au Japon n’en est plus un. Je vis ici, ma carte d’identification me rappelle chaque jour que je suis maintenant une résidente d’Osaka, et l’excitation me manque. Je pense que la fièvre de l’aventure est à son apogée, ma passion pour l’aventure coule maintenant dans mes veines, et la sédentarité m’étouffe. Je me rappelle mon inquiétude avant de quitter pour le Japon, le soir avant mon départ, alors je patinais avec ma sœur près de la maison, parce que je savais. Je savais le nombre de temps qu’il m’avait fallu pour me sentir bien à Montréal, bien dans mon quotidien, bien sans la pensée constante de quitter. Et je sais que mon retour sera aussi exigeant que le précédent. Mais le fait d’être installée ici, le fait de ne pas bouger m’aidera peut-être à accepter davantage mon retour au bercail, à la fin de l’été.
Hier, nous sommes allés à Kobe en train. De la gare de train, j’ai marché jusqu’au bord de la mer, me suis assise près de l’eau. Il faisait beau et le soleil transperçait l’eau, me permettant d’apercevoir des méduses, tout près de moi. Je les enviais. J’avais envie de leur crier ‘qu’est-ce que vous faites ici, sur le bord du quai, alors que vous avez toute la mer? Vous pourriez vous rendre jusqu’en Malaysie, rien ne vous retiens’. Puis j’ai réalisé que j’étais dans la même situation. J’ai terminé mes études universitaires, j’ai reçu mon diplôme il a quelques semaines, je suis ici par choix, pour l’expérience. Je pourrais être ailleurs mais je choisis d’être ici. Oui, c’est difficile. Oui, je ne me sens pas toujours bien. Oui, récemment ma famille me manque, mes amis me manque, la nourriture me manque, l’aventure aussi. Mais ce voyage en reste une, malgré sa métamorphose.

dimanche 20 mars 2011

à quelque chose malheur est bon

Lundi matin, je m’éveille, m’extirpe du lit et replace les draps, me fait chauffer du thé vert et du pain, allumes les haut-parleurs pour que Charlotte Gainsbourg puisse me chantonner ses mélodies maladroites qui me servent maintenant de café quotidien, fais brûler un peu d’huiles essentielles à la lavande question de stimuler agréablement mes sens, ouvre les rideaux et constate que le temps est gris, il pleut. Ici quand il pleut, les choses semblent étrangement au ralenti, plus calmes qu’à l’habitude. Ça fait du bien. Aujourd’hui, congé national, Olivier travaille, je suis seule et j’en profite.
Voilà un moment que je n’ai pas pu m’asseoir ainsi et penser à mes pensées afin d’analyser, de comprendre, de revivre et de clore certains évènements. Voilà 10 jours que le Japon a été secoué par sa pire catastrophe depuis la Deuxième Guerre mondiale, et depuis 36 heures seulement, je me permets de dormir sur mes deux oreilles, de souffler un peu. Avant cela, chaque jour le même dilemme, la même angoisse. Partir ou rester. Je ne voulais pas partir. Mais parfois cette option semblait la plus invitante, celle dans laquelle je voulais me blottir, pour que la nervosité disparaisse, et que je puisse me sentir à nouveau comme un humain, et non comme une victime. La semaine dernière est sans doute la plus éprouvante que j’aie vécue depuis des années. Les derniers jours ont été ravageurs pour l’état d’épanouissement que je me construisais lentement mais surement depuis les dernières semaines, ce tremblement de terre a secoué ma paix d’esprit et l’a emportée avec elle dans ses vagues cruelles et sans pitié. Je blâme même cette histoire pour mon premier cheveu blanc, un tout petit sur le côté de ma tempe, qui me grimace et me rappelle que la vie ne s’est pas arrêtée, que l’horloge continue toujours de battre les secondes. Me voilà vidée, perdue, hésitante, perplexe. Je ne sais plus trop comment aborder mon quotidien ici, je redoute cette terre qui semble maintenant revenue au calme, une partie de moi est constamment éveillée et prête à se réfugier à quelque part.
Lundi dernier, alors que nous vivions les premiers jours suite au désastre, nous avons décidé d’aller au lit très tôt, d’essayer de dormir le mieux possible, pour éviter de s’épuiser au cours de la semaine. Mais malgré nos intentions, au beau milieu de la nuit, vers 3 heures du matin, mon cœur a bondi, une alarme stridente hurlait près de notre fenêtre, et on entendait des gens crier, de la panique dans la voix. Nous avions l’ordinateur allumé juste à côté du lit, et Olivier parcourait frénétiquement les sites de nouvelles pendant qu’alarmée et tremblant de tout mon corps, je collectais nos passeports et nos portes-feuilles. En sortant de notre appartement, en pyjamas, l’odeur poignante de fumée m’a tout de suite fait comprendre. J’ai levé la tête pour apercevoir un homme au sixième étage, la tête émergeant de son appartement en flammes, qui criait. Des gens, de leurs étages respectifs, lui répondaient des choses, et entendant déjà les camions de pompiers approcher, j’ai déboulé à toute vitesse les escaliers de secours, me couvrant la bouche du mieux que je le pouvais. Une fois dans la rue, je me fis à frissonner violemment, parce que j’étais dehors sans manteau, mais surtout parce que s’en était trop, je ne me sentais pas assez forte pour affronter une seconde tragédie, perdre cet appartement et tout ce qu’il contenait ferait faiblir ma clarté d’esprit. J’ai passé des heures, assise dans les marches d’un restaurant de sushis situé à deux coins de rue de notre maison, à attendre, rongée par cette idée : « si jamais… ».
Nous avons finalement pu regagner notre appartement alors que le jour se levait, épuisés, ébranlés.
Deux jours plus tard, j’ai passé la porte de mon appartement pour m’apercevoir que nous n’avions ni électricité ni chauffage. Il avait neigé toute la journée, nous avons donc du attendre quelques heures dans la noirceur de notre cuisine, avec notre manteau d’hiver sur le dos, jusqu’à ce le tout revienne.
Toutes ces péripéties sont lourdes à porter, vécues si proches les unes des autres. Mais ce matin, je suis toujours là, debout et en santé. J’ai annulé le vol que j’avais réservé jeudi dernier pour Vancouver, je suis toujours ici, et j’espère ne pas me tromper lorsque je stipule que le meilleur est à venir. Parce qu’il nous serait impossible de quitter de manière si précipitée tout ce que nous avons pris tellement de temps et d’argent à bâtir, cette maison, nos emplois, l’argent qu’ils commencent à rapporter, toutes les larmes, tous les cris, tous les moments difficiles par-dessus desquels nous sommes passés, avec en tête l’espoir que bientôt, nous récolterons les fruits de nos récoltes. Osaka n’est pas menacée par cette catastrophe pour le moment, et peut-être ne le sera-t-elle jamais. Nous ressentons par contre la nervosité, l’instabilité du pays jusqu’ici, mais nous tenons à cette aventure, malgré tous les cratères dans la route. Ce voyage ne nous fait pas vivre les aventures que nous nous étions imaginées, mais il nous fait vivre, et j’ose croire qu’il nous fait grandir, qu’il nous rend plus forts et tant qu’individus. Espérons qu’il nous rapporte davantage au bout du compte que ce que nous avons donné.

dimanche 13 mars 2011

Stupeur et tremblements

J’étais au travail, dans la sale des employés, en train de préparer des fleurs en papier mâché, avec deux autres employés, quand j’ai commencé à me sentir très étourdie et prise de fortes nausées, comme si j’étais sur un bateau au milieu de fortes vagues. J’ai levé les yeux vers les deux employés qui étaient aussi occupés à d’autres projets devant moi, mais ceux-ci n’ont pas levé les yeux vers moi alors je me suis dis que c’était vendredi, que j’étais très fatiguée, et que peut-être que je couvrais un rhume. Mais quelque chose me disait que ce n’était pas seulement moi, que la force et la surprise de mon malaise étaient trop soudaines pour sortir de nul part. Alors j’ai dit « I feel like I’m on a boat » et à peine après avoir terminé ma phrase, les deux autres employés se sont exclamés, l’air aussi soulagé que le mien « Oh my god you felt it too! », et nous avons réalisé à ce moment que nous venions de vivre un tremblement de terre. Ce qui était étrange, c’est que la secousse était forte, mais que l'on la ressentait sous forme de vagues, très souples, et non de coups. Rien n’a bougé, rien ne c’est déplacé, c’est comme si notre bâtisse était un bateau et que nous venions de traverser une série de vagues. Venant tous de l'extérieur du Japon, nous étions secoués par ce qui venait de se passer. Lorsque des enseignantes japonaises sont entrées dans la pièce, quelques instants plus tard, elles ne semblaient pas bouleversées par cet évènement. Par contre, quelqu'un a mentionné que souvent, les tremblements de terre de ce genre sont des « aftershocks », comme les poussières qui volent dans l’air après que quelqu’un aie éternué. Alors une employée a ouvert son téléphone et a consulté les sites de nouvelles pour voir si l’on parlait d’un tremblement de terre dans la région. C’est à ce moment que l’on a appris qu’un gros tremblement de terre avait frappé Tokyo. Mais à ce moment, aucune information supplémentaire ne nous a été donnée. C’est en rentrant à la maison le soir que j’ai appris, comme le reste du monde, ce qui venait de se passer. Le Nord du Japon était complètement paralysé par la force des secousses et par le tsunami qui avait suivi. À Tokyo, ville qui semblait prête à affronter de telles situations, certaines régions sont gravement atteintes, des magasins sont ruinés, les lignes de trains se sont arrêtées.
Pour nous, c’est extrêmement bizarre de lire de telles nouvelles par le site internet de BBC et d’être si proches des évènements à la fois. Probablement que partout autour de nous, ici dans cette ville, des gens craignent le pire pour leurs amis ou leur famille, d’autres vivent des deuils déchirants, et pourtant, on n’y voit rien. Pas un signe de bouleversement. La vie continue et ne s’est même pas ralentie. Aujourd’hui c’est dimanche, le soleil brille, les gens font leurs courses et accrochent leurs futons sur leurs balcons, comme à l'habitude, comme nous. Demain les enfants se rendront à l’école dans leurs uniformes et leurs chapeaux ronds, les femmes troqueront leurs pantalons en coton pour leurs jupes et leurs talons, les hommes en vestons s’entasseront fatigués dans les wagons de trains, et ainsi va la vie. La force tranquille des Japonais continue de me surprendre alors que pendant qu'une partie du pays s'effrondrait sous un mur d'eau, on entendait à peine les gens murmurer sur les quais des gares.

lundi 28 février 2011

Le bonheur, tout simplement

Le temps passe, chaque jour est un peu mieux, un peu plus confortable. Aujourd’hui, je regardais par la fenêtre de ma classe, et la vue m’était devenue si familière, même réconfortante. Le silence dans le métro, le bruit de mes clés dans la serrure de la maison, l’odeur de repas japonais dans le corridor, celle de notre repas dans l’entrée de mon appartement, les lumières qui scintillent toute la nuit et qui reflètent sur la glace de nos fenêtres, les tremblements de terre qui font vibrer les murs de notre maison régulièrement, tout semble faire partie d’une réalité qui n’est plus si nouvelle, mais à laquelle je m’attache beaucoup plus que ce que je croyais. Le bonheur qui m’habite en est un que je n’ai jamais connu auparavant, fait de rires d’enfants, d’une paix profonde, d’un sentiment de ne pas avoir besoin de quoi que ce soit pour se sentir vivante, complètement. Mon bonheur, je le trouve chaque jour au travail, dans le sourire d’Olivier, lorsque je croise mes propres yeux dans les vitres du métro, et que mon reflet me surprend, aujourd’hui plus habituée à apercevoir une chevelure aussi pâle et des traits comme les miens. Mon bonheur est aussi fait des balades en vélo à travers la ville, les cheveux dans le vent, le soleil de plus en plus chaud me réchauffant les yeux, le vent chatouillant mon cou et mon nez. Jamais je ne croyais pouvoir ressentir un bonheur dans les choses les plus banales, une gorgée de café le matin, un diner sur le bord de la Baie D’Osaka, entourée de jeunes familles et d’amoureux timides, me réveiller trop tôt un samedi matin et observer mon amoureux dormir paisiblement à mes côtés, contourner des masses de gens maladroitement à travers les rues du centre-ville le soir. Osaka est une ville merveilleuse, parce qu’elle offre toujours plus à celui qui s’y aventure assez, ou qui trouve le courage d’y rester malgré ses airs sévères, malgré son attitude intimidante. Ici j’ai appris à vivre et à être bien avec si peu, quel magnifique exercice. Surtout au Japon, où les gens sont suffoqués dans un monde de surconsommation.


Qu’il fait bon de vivre ainsi, satisfait du seul fait d’être là, je respirer, d’être jeune et d’avoir toute la vie devant soi, de se sentir libre de partir mais de rester parce qu’on est bien, parce qu’on vit avec peu mais on se sent plus vivant que jamais.
Je pensais qu’en venant ici, je serais prise à la gorge par l’envie de consommer, par la multitude de biens, mais rien de tout ça ne semble m’importer, maintenant que je peux me livrer, avec mon meilleur ami, à des découvertes fascinantes quand bon nous semble.
Vive Osaka, vive mon emploi merveilleux, vive mes étudiants qui m’apportent tellement à chaque jour, vive Olivier cet homme dont la tendresse et la sagesse font de lui quelqu’un de fort, quelqu’un de fascinant. Vive ce projet auquel nous avons tant tenu, vive nos cœurs qui battent, et puis c’est tout.

mercredi 23 février 2011

Aujourd'hui

Depuis lundi, quelque chose a changé. L'actrice semble soudain se fondre dans le décor et se submerger dans la pièce, elle se sent paisible, elle s'interroge moins, son environnement coule maintenant un peu plus dans ses veines, elle sent qu'elle s'y fait. Elle pénètre doucement dans cette trame qu'elle tatonne depuis un moment, consciente des implications de l'aventure. Elle sait que ce n'est pas un compte de fées, mais elle fabrique son bonheur avec ce qu'elle trouve, et ça lui suffit. Aujourd'hui, elle connait la chanson et se laisse glisser le long des notes, sachant que la fin n'est jamais très loin. Elle flotte, bien, comme suspendue dans le temps, loin de tout ce qui tracasse, dans un monde presqu'imaginaire, qui lui laisse s'imaginer que peut-être le moment durera éternellement.
Les bruits du métro qui longe les rails le matin, des cris d'enfants qui bourdonnent dans les oreilles des heures après les avoir entendu, du thé, du riz, beaucoup de riz, un vélo, un parc, le soleil qui se couche et qui brille sur les vitrines des grattes-ciels, un bain minuscule, le bruit des voitures qui passent sur l'autoroute, des hommes en complet, des enfants en uniforme, des femmes en collants, des masses qui s'entassent dans des wagons comme des sardines dans des filets de pêche, tout y est, chaque jour le dessin est refait, certains détails sont changés, mais le résultat est semblable. Cette mélodie, elle la connait si bien, mais elle sait qu'elle l'oubliera un jour. Elle sait que ce qu'elle croit aujourd'hui saisir et dont elle fait maintenant partie lui glissera des mains, que l'air changera, que les paroles s'évanouieront. Alors elle fredonne, avec légèreté, un refrain dont elle ne semble pas pouvoir se lasser.

dimanche 20 février 2011

le retour du balancier

Dimanche soir. Depuis mon dernier blog, presque dix jours se sont écoulés. La semaine dernière a été beaucoup plus intéressante, parce que ma santé s’est améliorée, et parce que j’ai passé la semaine à enseigner à l'école du métro Temma, à seulement cinq stations de la maison. Quel beau cadeau que de pouvoir se rendre si facilement et si rapidement au travail, c’est une chance que j’apprécie maintenant beaucoup plus qu’avant. Cette semaine, il a neigé. Lundi, toute la journée. Les enfants, comme les enseignants, étaient très émoustillés par le phénomène, plutôt inhabituel ici. La semaine s’est donc entamée sur une note de magie et d’excitation. Je me suis même surprise la tête dans une des fenêtres entrouvertes de la classe, pendant un des rares moments de calme de la journée, quand les enfants étaient occupés à fabriquer un drapeau imaginaire dans des morceaux de tissu, à fixer les flocons se déposer sur les toits des bâtisses près de l’école, bercée d’une tranquillité.
Je travaillais avec un groupe de plus vieux, qui représentent pour moi un défi de grandeur par-rapport aux bout-de-choux avec qui je travaille naturellement. C’était donc une semaine assez chargée, mais ma santé semble tout de même tenir le coup, ainsi que mon moral. Les enfants m’apportent cet enthousiasme qui est difficilement ébranlable. Ce qui semble le plus difficile de mon expérience ici, c’est d’essayer d’apprécier le voyage, l’expérience dans ce qu’elle représente, malgré le quotidien, malgré le poids lourd du manque d’argent et du travail exigeant et épuisant, physiquement et mentalement. Je ne me plains pas, je réalise la chance que j’ai d’avoir eu le courage et l’opportunité de venir ici, d’être tombée sur l’école pour la quelle je travaille, qu'eux aient pu m’offrir ce poste si rapidement, que j’aie pu trouver cet adorable appartement par hasard, et d’être ici avec une personne dont tous les aspects ne font qu’adoucir mes insécurités et solidifier ma force et ma persévérance. Avec lui, j’aime me promener en vélo à travers le quartier, j’aime découvrir de nouveaux marchés, goûter à de nouvelles saveurs, j’aime sentir l’excitation de cette aventure refaire surface dès que nous trouvons le temps et un peu d’argent pour explorer.
Demain, une autre semaine, un nouveau groupe, une nouvelle école, un nouveau trajet, un nouvel horaire. L’aventure se trouve pour moi principalement dans ces changements hebdomadaires qui me demandent une rapide capacité d’adaptation. Je pense que la température s’adoucira dans les prochains jours. Bientôt, certains arbres seront en fleurs. Bientôt, je pourrai ranger mon manteau d’hiver, mes mitaines et mon foulard, et ralentir mon rythme de promenade quand je marcherai vers le métro le matin, ou vers la maison le soir. Bientôt, quand je sortirai du travail, le soleil ne sera pas encore couché et je pourrai admirer sa révérence quotidienne entre les stations de train. Bientôt, je recevrai mon premier chèque et je pourrai enfin profiter des multiples petits délices que renferme cette ville.
Montréal, tu me manques parfois. L’authenticité de tes gens me manque. Ta vivacité me manque. La variété que tes multiples restaurants et épiceries me manquent. Voir des visages et des nationalités différentes habiter si harmonieusement à l’intérieur des mêmes quartiers me manque. Montréal, je m’excuse d’avoir tant souvent voulu te fuir. Je pense qu’à mon retour, je serai prête à vivre en toi, j’accepterai tes défauts et trouverai ma voie parmi tout ce que tu offres. Montréal, je pense que je commence à me sentir chez moi près de toi. Merci pour tes quatre saisons et ta façon de trouver en chacune d’elles quelque chose d’excitant, quelque chose de tellement vibrant. Montréal, aucune autre ne te ressemble, tu es unique, tu es charmante. Ne m'oublies pas.

vendredi 11 février 2011

Les hauts et les bas d'une vie à l'étranger

Le retour au travail après mon congé de maladie ne s’est pas exactement déroulé dans l’excitation et le bonheur. Le début de ma semaine fut terrible, on m’a envoyé faire du remplacement dans une école littéralement au milieu de nul part, j’ai mis deux heures pour me rendre à l’extrémité d’une ligne de train et quand je parle de lignes de train, il ne faut pas penser à la station Henri-Bourassa sur la ligne orange de Montréal, mais plutôt à si une ligne de train se rendait jusque dans un rang à Nicolet, Trois-Rivières. En sortant du métro, impossible de percevoir le moindre son ou la moindre voix, et au Japon, un tel vide est loin de sembler paisible. De tels endroits au Japon existent avec peine sur les cartes et encore moins dans les consciences japonaises. À l’heure du lunch, avec nul part ou aller d’autre que le petit centre commercial dans lequel se trouve l’école, je me suis promenée entre les magasins vides et dépourvus d’articles d’intérêt, et j’ai finalement aboutie dans les toilettes publiques, ou j’ai pris mes pompes en secret, habitée par un sentiment d’angoisse extrêmement désagréable. J’avais envie de pleurer, j’étais assise sur le couvercle d’une toilette, j’écoutais le haut-parleur au-dessus de moi cracher You Can’t Hurry Love de Phil Collins en boucle, je n’avais aucune idée d’où je me trouvais, je voulais que la journée se termine et je voulais juste monter dans le prochain métro jusqu’à Bentencho, prendre mes jambes à mon cou jusqu’à la maison, manger, choisir une émission de la télésérie The Office et m’endormir avant la fin de l’épisode. Tout l’après-midi, je l’ai passé comme un robot à essuyer des mains, des larmes, des dégâts et des bols. Par-dessus tout, lors de mon voyage de retour vers Bentencho, je me suis rendue compte à mi chemin que je n’avais pas assez d’argent pour payer tous les trains pour me rendre jusqu’à la maison. Rendue à cinq stations de chez moi, j’ai du changer de compagnie de train et il me manquait 40 yen, soit environ 50 cents. Rien à faire, il n’y a qu’une banque ou il m’est possible de retirer de l’argent et elle se trouve à plusieurs stations de métro d’où j’étais. J’ai dû appeler Olivier, lui demander de venir me rejoindre avec de l’argent afin que je puisse payer pour les dernières stations de mon parcours, j’ai attendu debout, à la gare de train, à moitié endormie, les mains encore tachées de peinture, les larmes aux yeux, jusqu’à 20 heures. Inutile de préciser que notre voyage de retour jusqu’à la maison s’est déroulé dans un silence pesant. Si j’avais été lui, je n’aurais pas essayé d'alimenter la conversation non plus. J’étais livide. J’étais épuisée. J’avais froid. J’avais faim. Rien de plus à ajouter. Heureusement, une fois à la maison, j’ai jeté mon uniforme au fond du placard et j’ai enfilé mon pyjama, Olivier avait préparé un repas délicieux et mon thé préféré. C’est en mangeant que j’ai retrouvé le sourire et la parole.
Le lendemain, je me suis levée avec la pensée rassurante que les choses ne pouvaient possiblement être pires que la journée précédente. Je n’avais qu’une petite demi-heure de train à faire avant d’arriver à ma destination, une nouvelle école ou j’allais encore faire du remplacement pour la journée. J’ai marché rapidement jusqu’à petite croix sur la carte que j’avais fait imprimé soigneusement quelques semaines auparavant, sachant que je devrais m’y rendre éventuellement pour remplacer. Il pleuvait ce matin-là, une de ces pluies automnales qui transperce jusqu’aux os et qui fait trembler à moins d’un bain ou d’un thé brûlant. Une fois devant l’édifice en question, j’étais perplexe. Aucun signe d’enfants aux alentours, aucun vélo, aucun signe avec le logo de l’école. Pourtant j’étais au bon endroit, j’étais prête à le jurer. J’ai fait le tour de la bâtisse à la recherche d’une autre entrée, j’ai marché un coin de rue plus loin, un coin de rue à droite, derrière, puis à gauche, aucun signe de l’école. À ce point, l’encre du papier que je tenais entre mes mains frigorifiées coulait et effaçait mes repères, mes lèvres tremblaient de froid, de nervosité et d’épuisement. Je décidai de me réfugier sous le toit d’un bloc appartement et j’appelai l’école. La réceptionniste, une fois avoir écouté mon histoire, m’appris que j’étais à l’ancienne école. Ils avaient déménagé dans une nouvelle école en octobre et on avait oublié de remplacer la carte du trajet dans les documents du bureau-chef. La réceptionniste tentait de m’expliquer comment faire pour revenir sur mes pas et prendre un autre chemin, mais son anglais n’était pas du tout assez bon pour pouvoir m’être utile. Je fis semblant de comprendre et raccrochai. Je me recroquevillai sur moi, assise par terre, la tête dans les jambes, et je me mis à pleurer. J’étais trempe, j’avais trop marché et voilà que j’en avais pour une bonne demi-heure de marche dans cette pluie glaciale, je n’avais aucune idée comment faire pour trouver cette école, j’étais prête à étrangler quelqu’un. Je voyais noir tellement j’étais contrariée. J’ignore comment je fis pour finalement sonner aux grilles de l’école une vingtaine de minutes plus tard, mais j’allai m’enfermer à la salle de bain dès mon arrivée. Je tentai d’essuyer mon visage et mes cheveux avec peine, je pris plusieurs grandes respirations pour tenter de me calmer, et je sortis pour finalement entamer ma leçon quelques minutes en retard. Heureusement que mes élèves sont adorables. Heureusement que leurs éclats de rire sont aussi contagieux, heureusement qu’ils aiment autant donner des câlins et jouer dans les cheveux blonds de leur enseignante étrangère, heureusement qu’ils me regardent avec leurs beaux yeux en amande, heureusement qu'ils me laissent les bercer avant qu’ils ne s’endorment pour leur sieste, heureusement que je dispose d’une heure chaque jour ou je les regarde dormir, assise entre les matelas disposés dans la classe, heureusement que je caresse leur cheveux soyeux et leurs joues roses, heureusement qu’ils chantent des chansons à tue-tête en m’entraînant par la main avec leurs sourires parfois dépourvus de dents, parce qu’autrement tout ces déplacements et cet épuisement n’en vaudrait pas la peine. À cause d’eux, j’ai la force de rentrer à la maison avec ce qu’il me reste de bonne humeur pour le partager avec Olivier, rire, lui raconter des histoires et lui apprendre de nouvelles chansons qui le font rire et qui nous convainquent tous les deux que je suis la bonne personne pour le boulot.
Le jour suivant, je travaillais à l’école du près du métro Temma, celle que je préfère parce qu’elle n’est qu’à cinq stations de la maison et parce que c’est celle ou je me sens le mieux, dégageant l’atmosphère la plus invitante et disposant du personnel le plus agréable. Dans certaines autres écoles, l’atmosphère peut parfois être étrange, voire même inconfortable, j’ai de la difficulté à soutenir la plus conventionnelle des conversations dans la salle des professeurs. Mais pas à Temma. À Temma, les professeurs sont pétillants, amusants, ils sont invitants et faciles d’approche. À peine deux minutes après mon arrivée, le responsable de l’école m’a dit que mon patron m’attendait l’autre côté de la rue, au bureau-chef, pour un entretien privé. Je savais que c’était pour me donner de la rétroaction sur les semaines passées. J’étais intriguée. J’attendais cette conversation depuis un moment déjà, sachant que j’étais la première employée que la compagnie engageait sans expérience directe avec l’enseignement d’une langue seconde. Les commentaires de mon patron m’ont apporté un réconfort et un élan de motivation surprenants. Il m’a dit qu’on avait dit de moi que j’étais A Natural avec les enfants, qu’il n’y avaient que de bons commentaires à mon sujet à travers les écoles. Quelle bonne nouvelle pour cette québécoise de vingt-trois ans qui vient à peine de débarquer au Japon, qui n’a aucune idée comment ce boulot et ces responsabilités lui ont miraculeusement tombé dans les bras, qui trouve souvent qu’elle en fait trop ou trop peu, qui se trouve bien souvent maladroite lorsqu’elle doit apprendre tous les prénoms, toutes les chansons et les danses préférées et ses élèves, leurs allergies et leurs phobies, les détails de leurs personnalités et la façon d’amasser le tout pour enseigner un contenu intéressant et pertinent. Voilà tout un défi. Mais je peux déjà admirer les changements que ces responsabilités marquent en moi. Je grandis beaucoup. Peut-être qu’à mon retour à Montréal, je ne sentirai plus le besoin de rallumer ma lampe de chevet le soir, pour être certaine que rien ne se cache sous mon lit…ou peut-être que mon trop-plein d’imagination transcende n’importe quelle leçon de vie et fait simplement partie de ce que je suis, intrinsèquement, malgré toute cette dose de passivité japonaise.

samedi 5 février 2011

Quand rien ne va plus

Samedi soir, j’écris réchauffée sous une couverte de polar, le nez bouchée, la tête qui résonne, les poumons en feu, les muscles endoloris. Je suis malade depuis bientôt deux semaines mais depuis jeudi, impossible d’aller travailler, je n’ai plus de force et ma toux est trop forte. J’espérais me sentir mieux cette semaine mais apparemment les choses doivent s’aggraver avant de se dissiper. Hier j'ai dû me rendre à l'urgence parce que ma fièvre était trop élevée et le médecin m'a diagnostiqué l'Influenza.Voilà probablement le plus gros des inconvénients à travailler avec de jeunes enfants chaque jour ; on essuie des nez, des fesses, des bouches et des mains toute la journée, et malgré mes précautions, on tombe malade. Le truc avec mon emploi, c’est que je suis techniquement enseignante d’anglais langue seconde, mais en réalité, je suis aussi infirmière, arbitre, maman, clown, gardienne, police, concierge et psychologue à la fois. Chaque journée de travail en parait physiquement davantage comme cinq, et chaque vendredi, je rentre à la maison paralysée de fatigue. J’espère m’habituer à ce rythme de vie, et pouvoir apprécier davantage ma vie ici dans les semaines à venir.

En attendant, je suis passée la semaine dernière devant une boutique de souliers en solde, et ma curiosité m’a poussé à entrer me rincer l’œil. Une fois à l’intérieur, j’ai même fait plus, j’ai acheté une paire de bottes à 2,000Yen (l’équivalent de 25$ ) de style TRÈS japonais : résultat ?

Les bottes sont un peu trop petites pour moi, et en toute honnêteté, je pensais que je finirais par m’habituer à me voir porter des choses différentes ou qui me ressemblent moins, mais je me sens toujours aussi ridicule quand je les porte. Je me sens costumée, je me sens comme une drag-queen, impossible ce porter cette foutue paire de bottes sans perdre ma crédibilité. Je les trouve trop tout, trop haute, trop poilue, trop petite, trop quétaine pour m’y sentir confortable. Il est vrai qu’à côté des japonaises de mon âge, je dois passer pour un tom-boy. Mon téléphone cellulaire n’est pas couvert de brillants, mes cheveux ne sont jamais parfaitement coiffés au fer à friser, je ne porte pas de faux-cils, je ne porte de talons hauts et mes bottes sont couvertes de poussière parce que je passe au moins une heure par jour au parc à courir avec les enfants, mes gants sont troués, mes pantalons de travail sont déjà délavés, bref, je n’ai rien d’une demoiselle aux yeux des femmes, et probablement des hommes d’ici. Mais mon allure est le dernier de mes soucis. Je suis tellement différente et je le sais, et je l’accepte et j’aime cette différence. Je ne vis pas comme les japonais, sans jamais lever les yeux de peur de croiser le regard de quelqu’un, mon regard en cherche sans cesse un autre, je suis peut-être moins polie et moins rigoureuse qu’eux dans les protocoles, mais mes efforts sont honnêtes, mes paroles et mes gestes aussi. Je n’ai pas peur de dire ce que je pense, et je n’ai pas peur de lever les yeux quand je marche. Ici il y a une mode en vigueur, il faudrait que je filme une vidéo pour faire comprendre l’intensité du geste, mais je pense que les femmes trouvent cela féminin de se promener les pieds vers l’intérieur. Toutes les femmes n’ont pas les jambes croches, mais elles marchent toutes les pieds courbés vers l’intérieur. J’ai été abasourdie de voir un tel comportement, mais maintenant je comprends. Je comprends qu’il fait partie de toute cette culture de réclusion, de fermeture sur soi. C’est un phénomène très étrange mais les femmes ici croient sans doute que plus elles ont l’air fragiles et menues, plus elles sont attirantes. Aussi étrange que cela puisse me paraitre, je sais que la culture du Japon est encore grandement basée sur la reconnaissance des différentes classes sociales ainsi que la différence entre les sexes, et que différents traitements sont réservés à ces différentes catégories. Même au travail, je le remarque avec mes jeunes étudiants. Les filles sont si calmes, si respectueuses des règles, si polies, alors que les garçons sont agités, font à leur tête, confrontent leurs professeurs.
Je ne suis ici que depuis un plus d’un mois, alors mes observations auront encore bien le temps de dériver et de murir vers des conclusions peut-être moins radicales, mais en date d’aujourd’hui, ce que je croyais connaître et comprendre du Japon me semble bien vrai.