Ma maison

Ma maison

dimanche 24 avril 2011

Ces derniers temps

Il me devient de plus en plus difficile de rédiger ces textes récemment. Mes sentiments sont de plus en plus difficilement descriptibles, j’ai l’impression que de moins en moins de gens pourront lire et comprendre de quoi je parle. Quand j’ai la chance de parler avec mes proches à Montréal, il me semble que pour chacun de leur jour, j’en vis trois. Ce que je vis ici n’a pas de mot. Aucune des phrases que je tape ne porte en elle la grandeur de cette expérience, de cette nouvelle vie que je me suis bâtie. Ce que je vis n’est pas un voyage.

J’ai mis les pieds ici il y a quatre mois maintenant, le dernier jour de l’an dernier, les cernes aux yeux, je croulais sous le poids de mes valises, je marchais dans la noirceur de Dobutsen-mae, le quartier le plus redoutable de la ville, à la recherche de l’hôtel le moins cher sur le marché.

Comme une araignée, j’ai regardé dans le vide, là ou il n’y avait rien, et je me suis lancée dans le vide pour construire quelque chose. Les premiers instants, j’avais l’impression que mes efforts n’aboutissaient à rien, puis en l’espace de deux semaines, j’ai tissé une maison, un boulot. Puis avec le temps j’ai rencontré des gens qui font aujourd’hui partie de mon quotidien. J’ai construit un monde nouveau, à l’autre bout du mien, constitué des choses les plus simples. Seulement quatre mois se sont écoulés depuis mon arrivée au Japon mais l’idée de penser à ma vie ailleurs qu’ici me semble étrange. Je suis plus qu’habituée à être entourée de Japonais en complets noirs, leur présence m’est plaisante et rassurante. Cette trame de fond est maintenant la mienne, je m’y noie avec aisance. Mon nouveau boulot me permet maintenant de converser avec ces hommes à qui j’ai souvent reproché de vivre sans âme, et je réalise toute la lourdeur du travail sur leurs épaules, leur envie de vivre autre chose et de partir ailleurs recommencer à zéro, comme moi. Avec eux, je ris, je partage des opinions, je les écoute me raconter leur vie et j’ose parfois laisser quelques détails de la mienne s’échapper. J’ai développé un attachement et une compassion profonde pour ce peuple. J’aime leur sourire, j’aime leur innocence, j’aime leur curiosité sans bornes, j’aime leur maladresse. Je comprends leur discipline et leur résilience maintenant que j’ai écouté tant d’hommes me confier le malheur d’un quotidien trop chargé, duquel ils ne peuvent plus échapper. Chaque jour, je passe les portes du prestigieux bâtiment dans lequel je travaille entre deux bâillements, un peu lasse. Et chaque soir, j’y sors la tête complètement nourrie et rafraîchie. Chacun des échanges auquel je prends part au travail est une source d’enrichissement tellement précieuse à mes yeux. C’est à travers chaque histoire, chacune de ces vies que je rencontre, que ma vie au Japon prend tout son sens. Je suis heureuse parmi ces Japonais si rigides de l’extérieur, mais parfois si fous à l’intérieur. Je ne suis pas surprise de m’entendre si bien avec eux, je les fais sourire et eux me font parfois pleurer de rire.

Ceux qui me connaissent savent que je suis un être passionné, et que je ne peux tenir dans mon cœur deux amours simultanément. Aujourd'hui, je lâche la main de Montréal et lui dit au revoir, afin de vivre mieux ici. Montréal fait partie de mon passé, mais le Japon dessine mon présent. Inutile de penser au futur.

Je m’attache profondément à cette vie. Je suis fière de ce que j’ai bâti si rapidement, et je suis excitée de voir ce que je cette deuxième fraction de mon voyage m’apportera.

mardi 12 avril 2011

Quelque chose a changé

Hier soir, un de mes clients ne s’est pas présenté. Il était 20 heures, j’avais une quarantaine de minutes devant moi, mes cours jusqu’à 22h40 étaient déjà préparés, j’avais donc du temps pour moi. Je suis sortie de mon bureau, j’ai marché quelques pas jusqu’au mur tapissés de fenêtres, je me suis arrêté, j’ai mis les mains dans les poches de mon pantalon, et j’ai regardé. J’ai regardé la ville sous le ciel bleu foncé, du dixième étage du gratte-ciel dans lequel je travaille maintenant. J’ai baissé les yeux pour observer les hommes et femmes d’affaires dans leurs complets identiques, traverser d’un pas rapide l’une des plus importantes intersections de la ville. J’ai regardé les autres gratte-ciels, ou travaillent encore à cette heure beaucoup d’employés. Les bâtisses à cette heure grouillent encore d’agitation, et les lumières jaunes des bureaux décorent chaque immeuble comme des bougies dans un sapin de Noël ; un peu partout, à chaque étage, de haut en bas. Du haut de mon bureau, je peux admirer toute l’action du centre-ville et me sentir complètement protégée de cette hyperactivité constante, du haut de mes dix étages, bercée par une douce musique jazz, sous un éclairage tamisé.
Quelque chose a changé. Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, mais je ne suis plus la même. Les dernières semaines ont été très difficiles pour moi ; je me sentais prisonnière de cette ville, de ce pays, je ne savais plus quoi faire de mon corps, j’avais besoin de m’envoler. Mais je suis restée. Et comme un serpent, j’ai l’impression d’avoir mué, d’être toujours la même, mais plus tout-à-fait. Et je me sens bien. Je me sens légère. J’apprivoise ce nouveau sentiment sans trop m’y attarder. Comment s’est-t-il posé au fond de moi, si doucement que je ne l’ai même pas entendu cogner? Aujourd’hui, c’est un sentiment d’acceptation qui m’habite. Tout semble familier autour de moi, je cherche parfois un signe, un visage, une parole pour me rappeler que je suis loin, mais je ne suis pas loin, je suis ici, chez moi, je marche dans cette ville, avec aisance. Si je ne m’étais jamais vu dans un miroir, je m’imaginerais semblable aux Japonaises que je croise tous les jours. Je ne suis plus un caméléon, je suis véritablement imprégnée dans cette culture.

Ne pas penser au retour. Je pas penser au choc de retrouver ce qui m’allait si bien sur cet autre continent, et qui m’apportera un profond inconfort lorsque j’essaierai de sauter dans le moule de la personne que je ne suis plus. Ma vie est ici, ma maison, c’est au quatrième étage de ce bloc appartement sombre et gris, près du parc à cerisiers et donnant sur l’autoroute bruyante, et plus loin, sur la grande roue du port d’Osaka. Mes amis, ce sont Tenzin du Bhoutan, Vittorio de Régina, Nelis de l’Afrique du Sud, Liz de l’Angleterre, Allen du Texas, Huy du Vietnam.

Quant on voyage, on veut découvrir. On veut faire des rencontres et voir de belles choses. Mais on oublie souvent qu’un voyage, ça change. Ça change notre perception du monde, notre façon de réagir, parfois même notre façon de penser. Ça nous apprend la tolérance, le courage, la persévérance, l’ouverture. Je pense que profondément, c’est lorsque je me sens confortable à quelque part que je sais qu’il est temps de plier bagages, parce que j’ai tellement à apprendre, parce que je n’ai pas fini de me mettre au défi. Mais pour l’instant, je vogue sur cette harmonie que j’ai enfin trouvé ici, et qui semble là pour rester, enfin pour le moment.



le temps des cerisiers au Japon

dimanche 3 avril 2011

Choc culturel ; trois mois plus tard

Partir. Partir ailleurs pour vivre autre chose. Découvrir, nourrir sa tête de nouvelles images, de nouveaux langages, de nouveauté. Partir pour se sentir loin et bien, pour respirer de nouvelles odeurs, pour sentir les rayons du soleil sur son corps d’une manière différente, pour voir des peuples vivre à leur manière. Partir pour mieux revenir peut-être. Tant de raisons de plier bagages et se lancer dans le vide.
J’aime de plus en plus les aéroports parce que pour moi, ils riment avec aventure, avec surprises, avec rencontres, avec découvertes. Et à travers ces sentiments, je jouis du seul fait d’exister.
Aujourd’hui plus de trois mois que je suis ici, au Japon, et que je mène une vie relativement normale. Comme tout le monde, je travaille, je cours les rabais à l’épicerie, je fais la sardine dans le train, je me demande quand l’été et les fleurs de cerisiers se pointeront définitivement, je mange beaucoup trop de riz blanc et de sucreries. Je trouve de plus en plus difficile de m’extirper de mes gestes quotidiens pour prendre conscience de tout le chemin parcouru jusqu’ici, de tout ce que j’ai accompli depuis que mes pieds se sont posés à Osaka, le 31 décembre dernier. Je ressens aujourd’hui beaucoup moins d’excitation, mais une certaine aise à vivre ici, même un certain engourdissement. Et cet engourdissement me fait peur. J’ai l’impression qu’à force de vivre dans cette ville dont l’âme se fait bien maigre, je perds la mienne. J’ai l’impression de m’être perdue à quelque part entre cette histoire de tremblements de terre et un quart de travail. Peut-être aussi que l’incroyable solitude des gens ici et leur aise à vivre renfermés sur leur conscience, les uns collés sur les autres, me rend inconfortable. Je me suis toujours considérée comme quelqu’un de plutôt indépendante et solitaire, j’ai toujours eu besoin de temps seule pour souffler, expirer, réfléchir sans devoir tenter de tout mettre en mots, me comprendre dans mes pensées. Mais on dirait que les Japonais entretiennent cette solitude comme par peur d’agir en groupes, peur de se prononcer, peur de faire un faux-pas ou par peur du jugement. Je sens que je dois combattre cette envie qu’a parfois ma conscience de se replier sur elle-même, parce que c’est si facile, parce qu’ici c’est comme ça.
Au cours des derniers jours, je me suis souvent surprise à rêver de la Thaïlande, cet endroit qui a marqué à jamais mon être en me faisant vivre des moments extraordinairement simples mais tellement colorés, m’offrant du coup un bonheur rempli de presque rien. Je veux me promener en motocyclette une autre fois, au bord de la mer, je veux me sentir vivante à nouveau, comme je m’étais sentie une fois, un masque et un tube au visage, des palmes dans les pieds, au milieu de des dizaines de bandes différentes de poissons, nageant dans une eau transparente, seule dans une baie turquoise, sentant la chaleur des rayons du soleil me réchauffer la nuque. Je veux posséder une autre fois le sentiment de liberté totale ressentie, en moto, perdue à travers les nuages cotonneux des hautes montagnes du Vietnam, sentant les gouttelettes du ciel se déposer sur mon visage alors que je les traverse.
Ce voyage au Japon n’en est plus un. Je vis ici, ma carte d’identification me rappelle chaque jour que je suis maintenant une résidente d’Osaka, et l’excitation me manque. Je pense que la fièvre de l’aventure est à son apogée, ma passion pour l’aventure coule maintenant dans mes veines, et la sédentarité m’étouffe. Je me rappelle mon inquiétude avant de quitter pour le Japon, le soir avant mon départ, alors je patinais avec ma sœur près de la maison, parce que je savais. Je savais le nombre de temps qu’il m’avait fallu pour me sentir bien à Montréal, bien dans mon quotidien, bien sans la pensée constante de quitter. Et je sais que mon retour sera aussi exigeant que le précédent. Mais le fait d’être installée ici, le fait de ne pas bouger m’aidera peut-être à accepter davantage mon retour au bercail, à la fin de l’été.
Hier, nous sommes allés à Kobe en train. De la gare de train, j’ai marché jusqu’au bord de la mer, me suis assise près de l’eau. Il faisait beau et le soleil transperçait l’eau, me permettant d’apercevoir des méduses, tout près de moi. Je les enviais. J’avais envie de leur crier ‘qu’est-ce que vous faites ici, sur le bord du quai, alors que vous avez toute la mer? Vous pourriez vous rendre jusqu’en Malaysie, rien ne vous retiens’. Puis j’ai réalisé que j’étais dans la même situation. J’ai terminé mes études universitaires, j’ai reçu mon diplôme il a quelques semaines, je suis ici par choix, pour l’expérience. Je pourrais être ailleurs mais je choisis d’être ici. Oui, c’est difficile. Oui, je ne me sens pas toujours bien. Oui, récemment ma famille me manque, mes amis me manque, la nourriture me manque, l’aventure aussi. Mais ce voyage en reste une, malgré sa métamorphose.