Ma maison

Ma maison

jeudi 28 juillet 2011

Un dernier regard

Me voilà à nouveau assise sur un plancher fraîchement lavé, dans une pièce dégarnie, au beau milieu des valises à moitié fermées, le cœur gros et l'esprit se préparant chaque instant au défi qui m'attend. Huit mois ont passés et me voilà au bout de la route, à la fin de l'aventure. Depuis deux semaines, je limite mes déplacements et préfère plutôt rester chez moi, pour réfléchir et méditer. J'essaie de limiter les dégâts du choc du retour, qui s'est déjà installé en moi et que je sens remuer constamment. Je tente de libérer mes pensées de cette lourde charge d'émotions mais il me semble inévitable de quitter sans passer par la porte de l'angoisse, du doute, de la tristesse et de la confusionJe repense à tout ce que j'ai vécu ici... 

D'abord j'étais touriste, j'ai visité sans penser que j'allais rester. J'ai posé les yeux sur le Japon et les Japonais avec des yeux d'étrangère et j'ai jugé avec mon esprit et mon bagages de jeune femme québécoise. J'ai réagi fortement aux inégalités entre hommes et femmes, j'ai été profondément choquée par l'attitude de soumission des femmes en public. Pourquoi sentent-elles le besoin de toutes marcher la tête baissées, les épaules et les jambes repliées vers leur corps, mais habillées en bottes plates-formes de cuir vernis, mini jupes et le visage barbouillé de maquillage et de faux-cils, comme pour provoquer par leur apparence parce qu'elles se sentent incapables de le faire à voix haute. Au milieu de toutes ces femmes de cire, je me sentais d'avantage comme un homme et ce sentiment a duré un certain moment.

Mais rapidement les choses se sont mises à bouger pour moi. J'ai trouvé une maison dans un quartier acceptable à quelques stations du centre-ville, je l'ai habillé simplement et m'y suis rapidement senti chez moi. Puis j'ai été professeure. Travailler aussi près d'enfants japonais m'a apporté un enthousiasme et une force que j'ignorais posséder en moi. J'ai ri aux éclats avec ces enfants rigolos et tellement vibrants, à l'opposé de leurs parents. Je n'ai vu dans les yeux d'aucun des parents qui venaient chercher leurs enfants le soir cette étincelle de folie ou ce désir de s'agenouiller par terre et de prendre le temps de jouer un peu avec leurs enfants, ou d'en apprendre sur le bricolage qu'ils avaient fait au cours de la journée ou la chanson qu'ils pratiquaient en classe. Les parents venaient me voir l'air sérieux en me demandant pourquoi je ne donnais pas de devoir à leur enfant de cinq ans. Ici, l'enfance ne dure pas longtemps. Il faut être productif, et tôt. Pas question de faire le fou trop longtemps. J'ai souvent éprouvé tant de peine à voir partir mes élèves avec des parents qui semblaient si inconfortables dans leur rôle de parent. Malgré tout, j'ai bercé des bébés tous les jours pour les endormir, j'ai appris à d'autres à multiplier à la demande des parents, et eux m'ont appris l'origami. Ensemble, nous avons chanté, dansé, joué dans des parcs et nous avons discuté. Travailler avec des enfants est une tâche extrêmement exigeante mais oh combien rafraîchissante. Les enfants m'ont longtemps manqué une fois les avoir quitté. Je pense à certains d'entre eux, particulièrement les moutons noirs ou faiseurs de trouble avec qui j'ai du longtemps discuté à l'extérieur de la classe et conclu des ententes secrètes pour gagner leur attention et moins de distraction. Je pense aussi aux tout petits d'à peine 18 mois qui s'endormaient la tête dans leurs assiettes à l'heure du midi et que je prenais dans mes bras pendant que les autres terminaient leur repas, leur petit corps et leur souffle humide sur ma nuque, leurs petits poings fermés, je les connais à peine mais les aimais tellement. Ce travail m'a rendu malade à plusieurs reprises et m'a épuisé jusqu'à la dernière goutte, mais Dieu que je les ai aimé ces enfants. 


Puis au milieu de mon aventure, j'ai voulu autre chose. Je ressentais ce besoin urgent de ranger les crayons de couleur et les bavettes pour échanger avec les plus vieux. J'avais besoin de cette autre perspective, je voulais converser. Alors j'ai décidé d'enseigner aux adultes. J'ai troqué mes jeans pour un complet et les parcs pour un bureau au dixième étage d'un gratte-ciel. Avec mes nouveaux clients, j'ai appris sur la culture japonaise plus que je ne pourrai jamais le dire. Chaque jour, j'ai rencontré hommes d'affaires retraités, jeunes femmes éduquées, femmes au foyer, employés fatigués, ou Japonais curieux qui payaient des montants astronomiques uniquement pour venir s'asseoir dans mon bureau et échanger avec une étrangère. Au cours de ces leçons, j'ai enseigné parfois avec le plus grand professionnalisme à des clients qui tenaient à s'en tenir au contenu académique des cours, mais dans la majorité des cas, j'ai discuté. À travers les conversations, j'ai pu confirmé mes idées de la culture japonaise, alors que d'autres discussions sont venues corriger ou approfondir mes connaissances, pour clarifier certains préjugés ou rectifier certaines pensées. Avec certains clients, j'ai vraiment développé des relations profondes et honnêtes, qui m'ont nourries plus que n'importe quelle rencontre au cours de mon séjour. J'ai appris que beaucoup, beaucoup d'hommes se tuent au travail chaque jour et sont profondément malheureux, j'ai appris que d'autres ont choisi de faire autrement, et semblent véritablement plus heureux. J'ai appris que beaucoup de femmes considèrent essentiel d'être toujours bien mises et élégantes afin de se frayer une place dans cet univers d'apparence, alors que d'autres, surtout les plus jeunes, rejettent la tradition et choisissent de se couper les cheveux, d'étudier, de lire, de voyager, bref d'agir comme un homme. Je me souviendrai à jamais de chacune de ces femmes modernes qui ont choisi de vivre à contre courant pour se sentir vivantes, pour conserver cette étincelle, cette vie que je retrouvais dans les yeux des enfants à qui j'enseignais. Je lève mon chapeau à leur force et leur détermination, consciente de la difficulté de leur choix de vie. J'ai aussi rencontré beaucoup d'hommes mariés qui m'ont pourchassés et supplier de leur accorder une soirée, et qui m'ont laissé perplexe et profondément mal à l'aise. Mais je doute que ce phénomène ne soit que japonais. 


J'ai marché dans les jardins enchantés de Kyoto, j'ai mangé trop de riz, je me suis promenée à vélo à travers la ville, chaque jour mes yeux étaient grands ouverts et enregistraient tout ce que je voyais, de jeunes écolières en uniformes dans le train me rappelaient ma propre vie de collégienne, des vieillards dans les parcs avec leurs chiens, les parties de baseball dans tous les parcs de la ville à chaque fin de semaine, les célébrations printanières qui ont rassemblées toutes les familles en avril sous les cerisiers en fleurs, le tremblement de terre qui est venu hanté toutes les âmes du pays et qui les hante toujours, les mamans avec deux et parfois trois enfants sur leurs vélos chaque après-midi après l'école, le quotidien japonais qui est devenu le mien pendant un instant et duquel je me détache avec peine depuis quelques semaines. 


Je suis contente de rentrer. Beaucoup de choses me manquent. Je trouve qu'au Québec, beaucoup de gens parlent comme s'ils savaient tout et se permettent souvent de critiquer des faits d'actualité sans jamais être correctement renseignés, je trouve aussi que les Québécois se plaignent trop, mais au moins ils ont une voix. Au moins là d'où je viens les gens se sentent libres de dire ce qu'ils veulent, ce qu'ils ressentent. Ici, la majorité des gens vivent leur vie la bouche cousue, et je trouve cela désolant. J'admire les Japonais pour leur docilité, leur humilité, leur patience, leur discipline, leur force, leur compréhension, mais je leur souhaite du changement. Je leur souhaite de changer la façon dont ils voient le changement et la diversité. Je leur souhaite d'être capables d'accepter la diversité et la différence pour que leur pays fleurisse et s'enrichisse culturellement et socialement. Je leur souhaite d'avoir l'audace un jour d'ouvrir leurs yeux sur le monde, de s'y intéresser réellement, et se mettre au diapason avec la communauté internationale. 


Sayonara, Osaka... à bientôt, Montréal.













                                                                                                                                                             

jeudi 21 juillet 2011

au revoir, en attendant

Tellement d'émotions, de déchirement, et pour écrire, je suis bloquée. Mes mains languissent sur le clavier, je n'arrive pas à formuler une phrase, un paragraphe pour expliciter ce qui m'arrive. Peut-être parce que j'ai le visage trop près du portrait, ou parce que je me protège du mieux possible, secouée au coeur de la tornade qui sévit autour de moi, mais je n'arrive pas à expliquer ce qui se passe depuis la semaine dernière. Aucun adieu n'a été si déchirant, jamais. Dans une dizaine de jours je quitterai le Japon, et à ce moment-là, sans doute, je pourrai écrire. Pour l'instant, je ne peux que mettre en garde les aventurieurs au coeur sensible des conséquences d'un séjour à l'étranger tel que le mien, au Japon, pays où les émotions sont rangées, très très loin, au profit d'une carapace qui permet aux Japonais de mener une vie exigeante et parfois si morne sans être hantés par leur conscience inquiète. Je ne m'aventurerai pas dans les détails de ces propos, pour protéger mon petit coeur fragile jusqu'à ce que je me sente à l'abri, loin de tout ça. 

samedi 2 juillet 2011

La premiere boîte

Lundi j'ai fait ma première boite. Je suis allée la chercher au supermarché de mon quartier, la où je me rends toujours en vélo, la où j'achète tout ce dont j'ai besoin. J'adore cette épicerie. J'y trouve une variété impressionnante d'aliments importés, en mai j'ai même trouvé du sirop d'érable du Québec. Toute l'année, je m'y suis rendu pour acheter tofu, légumes japonais pour faire des うどん (soupes de nouilles et légumes japonais), poissons, thé, mais aussi confiture Bonne Mère, beurre d'arachide Skippy (denrée rare à Osaka), Oréo et petits plaisirs gastronomiques du genre. Les premières fois que je m'y suis rendue, j'étais étourdie par la pollution auditive de la place. Devant chaque comptoir de viande, de sushis, de légumes, de repas préfaits, d'alcool, joue à tue tête une musique aiguë électronique pré-enregistrée, sans intermittence du matin au soir . Il faut être extrêmement zen pour s'aventurer dans ce genre d'épicerie.

La boîte, donc. J'ai demandé à un employé d'aller me chercher une boîte en carton qui traînait dans leur garage, inaccessible au public, et il est gentiment revenu quelques minutes plus tard avec quatre nouvelles, propres et grandes boîtes brunes pour moi. Ah, la joie d'être jeune et blonde au Japon.

Il m'a fallu deux fois plus temps qu'à l'habitude pour me rendre jusqu'à la maison en vélo avec toutes ces grosses boîtes dans les bras, j'ai presque roulé sur un chien et foncé dans un petit garçon, mais je me suis rendue au bercail malgré tout.

Une fois à la maison, je les ai déposé au sol et je les ai contemplé. Les fameuses boîtes brunes. Comment les aimer. Toujours associées à un départ, à un déchirement, à la fin de quelque chose. Afin de vivre plus harmonieusement ensemble sous le même toit, il m'a fallu les dissimuler derrière mon frigo. Sauf une, la plus grosse, que j'ai monté. Je l'ai remplie de vêtements d'hiver à toute vitesse et je l'ai scellée aussitôt. Même complètement pleine, on ne peut à peine remarquer de mon garde-robe s'est allégé. Je n'avais pas réalisé à quel point j'avais accumulé ici. Et je redoute le moment j'entamerai la vente de mes meubles, ma maison se dégarnira malgré moi, je devrai laisser à d'autres les choses qui font partie de mon quotidien,de mon chez moi.

Hier, j'attendais le train pour rentrer chez moi vers 23 heures, à la station centrale du centre ville ou je me rends quotidiennement pour travailler, et j'admirais la bâtisse je travaille du quai de la gare. J'ai eu une envie soudaine de me mettre à pleurer en pensant à cette vie si bonne pour moi, que je devrai quitter dans une vingtaine de jours. Je retenais mes larmes avec effort, et puis j'ai pensé aux Japonais. À leur docilité et leur sens de la repartie. Je me suis entendue me dire "fais une Japonaise de toi et ressaisie-toi". Si j'ai appris quelque chose de ce peuple, c'est de faire ce qu'il se doit, et non de me laisser porter par mes sentiments. Trop souvent je me suis retrouvée en mille miettes parce que j'ai laisse mon cœur me guider. Ici, j'ai tellement souvent été témoin du contraire, j'ai fini par me trouver ridicule. Au nom de cette expérience, au nom de mon amour pour ce peuple, j'ai choisi faire l'effort d'être plus forte que ma peine,  d'aller je dois et de ce faire ce que dois. Évidemment, ce genre d'attitude rend les au revoir beaucoup moins romancés, mais me gardent la tête froide.

Après tout, ces boites brunes qui m'attendent au fond de la cuisine ne sont que des morceaux de carton. Et elles ne représentent rien de plus qu'un pas de plus dans une autre direction. Une direction que j'ai choisi. Il faut apprendre à dire au revoir pour avancer. Au fil du temps, j'apprends à vivre avec ce concept.