Ma maison

Ma maison

jeudi 28 juillet 2011

Un dernier regard

Me voilà à nouveau assise sur un plancher fraîchement lavé, dans une pièce dégarnie, au beau milieu des valises à moitié fermées, le cœur gros et l'esprit se préparant chaque instant au défi qui m'attend. Huit mois ont passés et me voilà au bout de la route, à la fin de l'aventure. Depuis deux semaines, je limite mes déplacements et préfère plutôt rester chez moi, pour réfléchir et méditer. J'essaie de limiter les dégâts du choc du retour, qui s'est déjà installé en moi et que je sens remuer constamment. Je tente de libérer mes pensées de cette lourde charge d'émotions mais il me semble inévitable de quitter sans passer par la porte de l'angoisse, du doute, de la tristesse et de la confusionJe repense à tout ce que j'ai vécu ici... 

D'abord j'étais touriste, j'ai visité sans penser que j'allais rester. J'ai posé les yeux sur le Japon et les Japonais avec des yeux d'étrangère et j'ai jugé avec mon esprit et mon bagages de jeune femme québécoise. J'ai réagi fortement aux inégalités entre hommes et femmes, j'ai été profondément choquée par l'attitude de soumission des femmes en public. Pourquoi sentent-elles le besoin de toutes marcher la tête baissées, les épaules et les jambes repliées vers leur corps, mais habillées en bottes plates-formes de cuir vernis, mini jupes et le visage barbouillé de maquillage et de faux-cils, comme pour provoquer par leur apparence parce qu'elles se sentent incapables de le faire à voix haute. Au milieu de toutes ces femmes de cire, je me sentais d'avantage comme un homme et ce sentiment a duré un certain moment.

Mais rapidement les choses se sont mises à bouger pour moi. J'ai trouvé une maison dans un quartier acceptable à quelques stations du centre-ville, je l'ai habillé simplement et m'y suis rapidement senti chez moi. Puis j'ai été professeure. Travailler aussi près d'enfants japonais m'a apporté un enthousiasme et une force que j'ignorais posséder en moi. J'ai ri aux éclats avec ces enfants rigolos et tellement vibrants, à l'opposé de leurs parents. Je n'ai vu dans les yeux d'aucun des parents qui venaient chercher leurs enfants le soir cette étincelle de folie ou ce désir de s'agenouiller par terre et de prendre le temps de jouer un peu avec leurs enfants, ou d'en apprendre sur le bricolage qu'ils avaient fait au cours de la journée ou la chanson qu'ils pratiquaient en classe. Les parents venaient me voir l'air sérieux en me demandant pourquoi je ne donnais pas de devoir à leur enfant de cinq ans. Ici, l'enfance ne dure pas longtemps. Il faut être productif, et tôt. Pas question de faire le fou trop longtemps. J'ai souvent éprouvé tant de peine à voir partir mes élèves avec des parents qui semblaient si inconfortables dans leur rôle de parent. Malgré tout, j'ai bercé des bébés tous les jours pour les endormir, j'ai appris à d'autres à multiplier à la demande des parents, et eux m'ont appris l'origami. Ensemble, nous avons chanté, dansé, joué dans des parcs et nous avons discuté. Travailler avec des enfants est une tâche extrêmement exigeante mais oh combien rafraîchissante. Les enfants m'ont longtemps manqué une fois les avoir quitté. Je pense à certains d'entre eux, particulièrement les moutons noirs ou faiseurs de trouble avec qui j'ai du longtemps discuté à l'extérieur de la classe et conclu des ententes secrètes pour gagner leur attention et moins de distraction. Je pense aussi aux tout petits d'à peine 18 mois qui s'endormaient la tête dans leurs assiettes à l'heure du midi et que je prenais dans mes bras pendant que les autres terminaient leur repas, leur petit corps et leur souffle humide sur ma nuque, leurs petits poings fermés, je les connais à peine mais les aimais tellement. Ce travail m'a rendu malade à plusieurs reprises et m'a épuisé jusqu'à la dernière goutte, mais Dieu que je les ai aimé ces enfants. 


Puis au milieu de mon aventure, j'ai voulu autre chose. Je ressentais ce besoin urgent de ranger les crayons de couleur et les bavettes pour échanger avec les plus vieux. J'avais besoin de cette autre perspective, je voulais converser. Alors j'ai décidé d'enseigner aux adultes. J'ai troqué mes jeans pour un complet et les parcs pour un bureau au dixième étage d'un gratte-ciel. Avec mes nouveaux clients, j'ai appris sur la culture japonaise plus que je ne pourrai jamais le dire. Chaque jour, j'ai rencontré hommes d'affaires retraités, jeunes femmes éduquées, femmes au foyer, employés fatigués, ou Japonais curieux qui payaient des montants astronomiques uniquement pour venir s'asseoir dans mon bureau et échanger avec une étrangère. Au cours de ces leçons, j'ai enseigné parfois avec le plus grand professionnalisme à des clients qui tenaient à s'en tenir au contenu académique des cours, mais dans la majorité des cas, j'ai discuté. À travers les conversations, j'ai pu confirmé mes idées de la culture japonaise, alors que d'autres discussions sont venues corriger ou approfondir mes connaissances, pour clarifier certains préjugés ou rectifier certaines pensées. Avec certains clients, j'ai vraiment développé des relations profondes et honnêtes, qui m'ont nourries plus que n'importe quelle rencontre au cours de mon séjour. J'ai appris que beaucoup, beaucoup d'hommes se tuent au travail chaque jour et sont profondément malheureux, j'ai appris que d'autres ont choisi de faire autrement, et semblent véritablement plus heureux. J'ai appris que beaucoup de femmes considèrent essentiel d'être toujours bien mises et élégantes afin de se frayer une place dans cet univers d'apparence, alors que d'autres, surtout les plus jeunes, rejettent la tradition et choisissent de se couper les cheveux, d'étudier, de lire, de voyager, bref d'agir comme un homme. Je me souviendrai à jamais de chacune de ces femmes modernes qui ont choisi de vivre à contre courant pour se sentir vivantes, pour conserver cette étincelle, cette vie que je retrouvais dans les yeux des enfants à qui j'enseignais. Je lève mon chapeau à leur force et leur détermination, consciente de la difficulté de leur choix de vie. J'ai aussi rencontré beaucoup d'hommes mariés qui m'ont pourchassés et supplier de leur accorder une soirée, et qui m'ont laissé perplexe et profondément mal à l'aise. Mais je doute que ce phénomène ne soit que japonais. 


J'ai marché dans les jardins enchantés de Kyoto, j'ai mangé trop de riz, je me suis promenée à vélo à travers la ville, chaque jour mes yeux étaient grands ouverts et enregistraient tout ce que je voyais, de jeunes écolières en uniformes dans le train me rappelaient ma propre vie de collégienne, des vieillards dans les parcs avec leurs chiens, les parties de baseball dans tous les parcs de la ville à chaque fin de semaine, les célébrations printanières qui ont rassemblées toutes les familles en avril sous les cerisiers en fleurs, le tremblement de terre qui est venu hanté toutes les âmes du pays et qui les hante toujours, les mamans avec deux et parfois trois enfants sur leurs vélos chaque après-midi après l'école, le quotidien japonais qui est devenu le mien pendant un instant et duquel je me détache avec peine depuis quelques semaines. 


Je suis contente de rentrer. Beaucoup de choses me manquent. Je trouve qu'au Québec, beaucoup de gens parlent comme s'ils savaient tout et se permettent souvent de critiquer des faits d'actualité sans jamais être correctement renseignés, je trouve aussi que les Québécois se plaignent trop, mais au moins ils ont une voix. Au moins là d'où je viens les gens se sentent libres de dire ce qu'ils veulent, ce qu'ils ressentent. Ici, la majorité des gens vivent leur vie la bouche cousue, et je trouve cela désolant. J'admire les Japonais pour leur docilité, leur humilité, leur patience, leur discipline, leur force, leur compréhension, mais je leur souhaite du changement. Je leur souhaite de changer la façon dont ils voient le changement et la diversité. Je leur souhaite d'être capables d'accepter la diversité et la différence pour que leur pays fleurisse et s'enrichisse culturellement et socialement. Je leur souhaite d'avoir l'audace un jour d'ouvrir leurs yeux sur le monde, de s'y intéresser réellement, et se mettre au diapason avec la communauté internationale. 


Sayonara, Osaka... à bientôt, Montréal.













                                                                                                                                                             

jeudi 21 juillet 2011

au revoir, en attendant

Tellement d'émotions, de déchirement, et pour écrire, je suis bloquée. Mes mains languissent sur le clavier, je n'arrive pas à formuler une phrase, un paragraphe pour expliciter ce qui m'arrive. Peut-être parce que j'ai le visage trop près du portrait, ou parce que je me protège du mieux possible, secouée au coeur de la tornade qui sévit autour de moi, mais je n'arrive pas à expliquer ce qui se passe depuis la semaine dernière. Aucun adieu n'a été si déchirant, jamais. Dans une dizaine de jours je quitterai le Japon, et à ce moment-là, sans doute, je pourrai écrire. Pour l'instant, je ne peux que mettre en garde les aventurieurs au coeur sensible des conséquences d'un séjour à l'étranger tel que le mien, au Japon, pays où les émotions sont rangées, très très loin, au profit d'une carapace qui permet aux Japonais de mener une vie exigeante et parfois si morne sans être hantés par leur conscience inquiète. Je ne m'aventurerai pas dans les détails de ces propos, pour protéger mon petit coeur fragile jusqu'à ce que je me sente à l'abri, loin de tout ça. 

samedi 2 juillet 2011

La premiere boîte

Lundi j'ai fait ma première boite. Je suis allée la chercher au supermarché de mon quartier, la où je me rends toujours en vélo, la où j'achète tout ce dont j'ai besoin. J'adore cette épicerie. J'y trouve une variété impressionnante d'aliments importés, en mai j'ai même trouvé du sirop d'érable du Québec. Toute l'année, je m'y suis rendu pour acheter tofu, légumes japonais pour faire des うどん (soupes de nouilles et légumes japonais), poissons, thé, mais aussi confiture Bonne Mère, beurre d'arachide Skippy (denrée rare à Osaka), Oréo et petits plaisirs gastronomiques du genre. Les premières fois que je m'y suis rendue, j'étais étourdie par la pollution auditive de la place. Devant chaque comptoir de viande, de sushis, de légumes, de repas préfaits, d'alcool, joue à tue tête une musique aiguë électronique pré-enregistrée, sans intermittence du matin au soir . Il faut être extrêmement zen pour s'aventurer dans ce genre d'épicerie.

La boîte, donc. J'ai demandé à un employé d'aller me chercher une boîte en carton qui traînait dans leur garage, inaccessible au public, et il est gentiment revenu quelques minutes plus tard avec quatre nouvelles, propres et grandes boîtes brunes pour moi. Ah, la joie d'être jeune et blonde au Japon.

Il m'a fallu deux fois plus temps qu'à l'habitude pour me rendre jusqu'à la maison en vélo avec toutes ces grosses boîtes dans les bras, j'ai presque roulé sur un chien et foncé dans un petit garçon, mais je me suis rendue au bercail malgré tout.

Une fois à la maison, je les ai déposé au sol et je les ai contemplé. Les fameuses boîtes brunes. Comment les aimer. Toujours associées à un départ, à un déchirement, à la fin de quelque chose. Afin de vivre plus harmonieusement ensemble sous le même toit, il m'a fallu les dissimuler derrière mon frigo. Sauf une, la plus grosse, que j'ai monté. Je l'ai remplie de vêtements d'hiver à toute vitesse et je l'ai scellée aussitôt. Même complètement pleine, on ne peut à peine remarquer de mon garde-robe s'est allégé. Je n'avais pas réalisé à quel point j'avais accumulé ici. Et je redoute le moment j'entamerai la vente de mes meubles, ma maison se dégarnira malgré moi, je devrai laisser à d'autres les choses qui font partie de mon quotidien,de mon chez moi.

Hier, j'attendais le train pour rentrer chez moi vers 23 heures, à la station centrale du centre ville ou je me rends quotidiennement pour travailler, et j'admirais la bâtisse je travaille du quai de la gare. J'ai eu une envie soudaine de me mettre à pleurer en pensant à cette vie si bonne pour moi, que je devrai quitter dans une vingtaine de jours. Je retenais mes larmes avec effort, et puis j'ai pensé aux Japonais. À leur docilité et leur sens de la repartie. Je me suis entendue me dire "fais une Japonaise de toi et ressaisie-toi". Si j'ai appris quelque chose de ce peuple, c'est de faire ce qu'il se doit, et non de me laisser porter par mes sentiments. Trop souvent je me suis retrouvée en mille miettes parce que j'ai laisse mon cœur me guider. Ici, j'ai tellement souvent été témoin du contraire, j'ai fini par me trouver ridicule. Au nom de cette expérience, au nom de mon amour pour ce peuple, j'ai choisi faire l'effort d'être plus forte que ma peine,  d'aller je dois et de ce faire ce que dois. Évidemment, ce genre d'attitude rend les au revoir beaucoup moins romancés, mais me gardent la tête froide.

Après tout, ces boites brunes qui m'attendent au fond de la cuisine ne sont que des morceaux de carton. Et elles ne représentent rien de plus qu'un pas de plus dans une autre direction. Une direction que j'ai choisi. Il faut apprendre à dire au revoir pour avancer. Au fil du temps, j'apprends à vivre avec ce concept.

samedi 18 juin 2011

Quand l'oiseau trouve son nid

Le temps était gris, le train avançait silencieusement à travers un mur de brume, et dans mon wagon, pas un bruit. Les gens somnolaient ou jouaient avec leur téléphone. La fenêtre au dessus de ma tête était entrouverte, et un léger vent me soufflait dans les cheveux. L'air a changé. Dehors, je retrouve les mêmes odeurs que lors de mon premier voyage en Asie. La première fois que j'ai mis les pieds en Asie, c'était à Bangkok. Pour la première fois, j'inspirais des pot-pourris d'odeurs qui deviendraient plus tard pour moi, l'odeur caractéristique de 'l'Asie'.
En sortant du train, il faisait presque noir. En attendant ma lumière verte au coin de la rue, j'ai remarqué que l'air était salin. Comme si j'étais à la mer. Parfois, quand le vent tourne, l'odeur du port d'Osaka, à quelques minutes de chez moi, devient forte. Comme il est agréable de respirer à plein nez l'air de la mer alors je me marche sous les rails de train terriblement bruyantes. Mon parapluie me protège à peine de la pluie délinquante qui vient de tous les sens. Le temps est presque frais, à peine humide malgré la pluie.

Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon sentiment de désarroi et d'impuissance face à mon départ imminent. Quand un nomade met finalement les pieds à quelque part ou il fait bon être, à quelque part ou il ne se sent finalement plus étranger, doit-il continuer sa route ou s'arrêter?

La brume épaisse semble s'être emparée de mes pensées en même temps que la ville. Mon cœur me prie de rester, et ma tête ne sait plus quoi me dire. Elle semble avoir épuisée tous ses arguments. Je sais ce qui m'attend, le déchirement de lâcher la main à une chose qui m'apporte tant de bonheur, quitter les bras dans lesquels je suis si bien. À Montréal je survis, mais en Europe je vis et en Asie je fleuris.

Je laisse la pluie couler sur mes cheveux ondulés et se mêler à mes larmes salées, comme l'air que je respire.

jeudi 16 juin 2011

moment de grâce

Moment de grâce au beau milieu d'un jardin japonais, derrière un temple bouddhiste, un lundi après-midi d'été à Kyoto.

Au beau milieu d'une étendue d'eau, debout sur une pierre, je me faisais la plus petite possible pour observer les carpes se faire dorer le dos a la surface de l'eau, pour entendre le croassement des grenouilles dissimulées dans l'herbe tout près de moi, le gazouillement des oiseaux sur les branches, au dessus de ma tête. En tournant la tête, mes yeux se sont posés sur une tortue grise, qui se reposait, le corps coincé entre deux roches, dans un ruisseau où coulait de l'eau claire. Le soleil me réchauffait la nuque, l'absence de bruit urbain faisait bourdonner mes oreilles.

Assises au milieu d'un grand pont couvert à quelques mètres de moi, quatre vieilles japonaises, toutes coquettes avec leurs foulards de soie autour du cou, leur sac de cuir vernis et leur tout petit souliers, potinaient a voix basse pour passer le temps. Aucun autre témoin de cette scène magique que moi et elles. Je me sentais comme une intrus dans leur jardin secret. Je les ai rejoins, me suis assise près d'elles et j'ai admiré la vue en silence. De grand arbres aux feuilles vertes et rouges, des fleurs de couleurs pastel, des sentiers entre les bassins d'eau, un héron chassant habilement ses proies sur le rivage, des poissons orange et blanc, les rayons du soleil qui faisaient scintiller la surface de l'eau, un léger vent qui venait rafraichir cette journée chaude de juin. Mes sens étaient comblés et ma tête était remplie et vide a la fois.

Je me suis rappelé la dernière fois ou je m'étais sentie aussi sereine. J'avais 15 ans. J'étais assise dans un autobus voyageur, après une sortie de ski avec les élèves de mon niveau. Près de 17h, nous avancions vers le soleil qui se couchait et qui illuminait le ciel de rayons roses et jaunes. Je me souviens de ce moment comme si je l'avais vécu hier. J'avais dans les oreilles Babylon de David Gray, mes joues me piquaient en se réchauffant, ma tête était posée contre la vitre de l'autobus, et quelque chose s'est emparé de moi et a traversé mon corps comme un éclair. J'ai senti le bonheur le plus vrai, le plus beau m'envahir. J'ai vécu un instant de bonheur pur par surprise, et comme un papillon posé sur une épaule, avant même que j'aie le temps d'identifier le moment pour tenter de le capturer, il s'est faufilé doucement entre mes pensées et s'est dissipé.

Depuis, je parcours le monde la recherche de cet exact sentiment, qui est le plus authentique qui soit. Et voilà que huit ans plus tard, seule et perdue dans mes pensées une fois de plus, j'ai vu ce même moment se pointer le bout du nez, me sourire, me laisser le contempler quelques instants, pour me glisser des doigts.

Je me suis demandé si c'était ça la méditation. Apprendre à retrouver cet instant, apprendre à l'apprivoiser pour le conserver. C'est peut-être ça, l'art du bonheur.









samedi 4 juin 2011

Le plaisir ne fait que commencer

Je marchais à grands pas dehors dans la nuit fraiche, le manteau du bout de mes bras, me servant de parapluie jusqu’au premier taxi. Il faisait chaud, les goutelettes d’eau arrosaient mes mains, mes pieds étaient mouillés. Je sortais d’une boîte de karaoke ou j’avais passé une partie de la nuit avec des amis, après un repas dans un restaurant traditionnel japonais, un izakaya. Ma première expérience complètement japonaise. Entourée d’amis japonais, accroupie autour d’une table basse dans une petite salle remplie de tatamis, dans un restaurant ou des dizaines de collègues, en bas, le visage et les oreilles écarlates, dans les salles voisines, faisaient tous la même chose que moi. Les gens parlaient fort, buvaient trop, et s’amusaient sans penser au lendemain. J’étais assise là, au beau milieu de cette pièce, prise d’un de ces moment de plus en plus rares ou j’arrive à m’extirper de l’instant pour avoir une vue d’ensemble. Qui aurait cru. Qui aurait pu prévoir que je me sente si bien, si chez moi, au milieu de tout ça. Absolument rien de ce décor ne me semblait gênant ou éblouissant. J’étais là, je souriais, j’écoutais, je faisais quelque blagues avec ma voisine de droite, je sirotais ma bière, grande buveuse que je suis. Je ne suis plus souvent observatrice du décor dans lequel je me fonds depuis les derniers mois, mais bien participante. Je suis parvenue à m’intégrer dans un monde que j’arrivais à peine à comprendre au début de l’hiver. Je suis parvenue à une étape de mon expérience ou je ne cherche plus à tout comprendre, à tout analyser à plus grande échelle. Les rencontres que je fais en tant que professeure sont si enrichissantes et diverses, je ne me permets plus de mettre les Japonais dans le même panier. J’ai le sentiment, pour l’une des rares fois dans ma vie, que tout est à sa place. Que je fais la bonne chose au bon endroit, et que rien autre importe. Je suis bien dans rien. Bien assise dans le train, à regarder le soleil rouge de juin se coucher près du Port d’Osaka, près de la maison. Je suis bien quand je rentre tard le soir dans mon appartement noir et que j’aperçois la grande roue d’Osaka scintiller au loin entre les blocs appartements, dans une des fenêtres de ma porte patio. Je suis bien quand je sens le regard insistant d’une vieille Japonaise ou d’un enfant sur moi, et que je ne me questionne plus sur ce qui cloche possiblement chez moi. Je suis bien à vélo, enfouie sous mes sacs d’épicerie, croisant une maman ou un papa, transportant sur son vélo sa famille au grand complet et ses courses. Je suis bien au travail, le visage appuyé sur une main, absorbée par les histoires qu’osent me raconter mes clients, un sourire espiègle sur les lèvres. Mais parfois je m’éveille la nuit, en sueur et le souffle court, pour m’assurer que je suis toujours ici. Mon départ me guettera toujours, du coin de l’oeil caché derrière un mur. Je sens sa présence mais joue la carte du déni pour continuer à apprécier pleinement ce que je vis ici. Mais le temps file. Le temps passe si vite et le sablier se vide, n’arrête jamais.

J’ai tellement appris que chaque bonne chose a une fin, mais je ne m’habitue jamais à dire au revoir à ce qui m’apporte tant de bonheur. J’aimerais être de ceux qui profitent sans s’attacher, mais je suis tombée dans la chaudière de la passion à ma naissance, l’attachement coule dans mes veines. Mais sommes-nous uniquement capables d’apprécier aussi bien les choses que nous savons perdues d’avance? Ma vie s’est chargée bien souvent de confirmer cette hypothèse. Je sais aussi que la seule façon que j’aie trouvé pour contrer ou attiser l’ampleur de mes émotions lors d’un départ est de plonger dans autre chose. Seulement cette fois-ci, je dois avouer que la motivation me manque. Ce que j’ai trouvé ici m’empêche de penser au prochain saut. Est-ce que le fait de vivre le bonheur du moment présent ne serait pas un couteau à double tranchants, empêchant du coup l’être de vouloir plus, donc de cultiver de nouvelles ambitions?

Au milieu de ces interrogations brille une perle rare, chaque jour elle brille et j’ignore combien de temps cela durera, mais je me compte chanceuse de même l’avoir aperçue ici, celle du bonheur. Rien de plus, rien de moins.

mardi 17 mai 2011

L'herbe n'est pas plus verte chez le voisin

Je pense qu’un des grands défis de l’homme moderne est de vivre dans le présent, satisfait de ce qu’il a. Enfants, nous rêvons être « grands ». L’idée d’indépendance semble si alléchante, nous souhaitons un portefeuille garni, la liberté d’aller ou l’on veut, quand on le veut. Entre eux, les enfants s’imaginent parents, avec une profession. Les fillettes rêvent de talons hauts et les garçons de complets et cravates. Devenus adolescents, on s’accroche au futur pour passer à travers ces années difficiles de questionnements et de révolte. Puis adultes, on buche. Chaque jour, on travaille avec en tête le rêve d’une voiture, d’une maison, d’une famille, de vacances. Puis une fois tous ces projets au creux de nos mains, on se met à regarder derrière. On envie ces jeunes adultes qui ont toute la vie devant eux, qui semblent nonchalants. Plus les rides s’entassent sur notre visage, plus la mélancolie s’empare de nos pensées et nos discussions. Doucement, notre vie se met à être vécue à travers celles de nos enfants et petits-enfants.

Mais quand sommes-nous vraiment là, dans le moment, à ne penser à rien d’autre qu’au présent? Je réalise que la majorité de mes conversations ont le futur en vedette, que mes pensées sont constamment monopolisées par mes désirs ou projets. Certains parleront d’ambition, d’autres d’insatisfaction. Mais comment demeurer ambitieux sans vivre dans l’attente constante que quelque chose de mieux ou de nouveau croise notre chemin? Au Japon, je dispose de beaucoup plus de temps pour réfléchir à tout ça. Et je réalise que la recette pour un bonheur vrai, simple et durable est constituée d’acceptation et de sérénité. L’homme avec qui je vis me le rappelle sans cesse. Lui ne vit jamais ailleurs que dans le moment présent. Et son bonheur est véritable et non éphémère. Il se dit athée mais sa philosophie tient beaucoup de la pensée bouddhiste. Et je réalise que les moments qui ont été source de bonheur ont souvent été comme cet autre soir, ou après une balade en vélo dans Shinsaibashi, le quartier coloré et dynamique du centre-ville d’Osaka, j’ai marché longtemps près de la fameuse rivière, le long des multiples restaurants et des commerces, l'air paisible et sans penser à rien. Mes pensées ne mijotaient rien, on dirait qu’elles avaient toutes cessé de gigoter pour admirer ce rare instant. Comme j’étais bien, comme je voulais que le moment s’éternise. Alors j’essaie de m’exercer plus souvent à reposer cette tête qui semble rarement se satisfaire d’un rien, pour lui faire comprendre que si je suis constamment à la recherche de quelque d’autre ou de quelque chose d’extraordinaire, je risque de manquer le bateau du bien-être et de la sérénité.

Je trouve difficile cette pratique. Cesser les comparaisons et vivre avec ce que je suis et ce que j’ai, rien de plus. Aller à contre courant d’une société qui nous pousse à toujours vouloir plus, se boucher les oreilles pour écouter sa conscience crier d’arrêter tout ça, que l’on s’éloigne du but.

Bien sûr que j’ai toujours des projets. Je suis à l’âge ou la toile de ma vie semble soudainement devenir de plus en plus claire, et comme un peintre pris d’une illumination, je travaille frénétiquement, changeant de pinceaux rapidement, souhaitant parfois avoir quelques mains de plus pour faire progresser l’œuvre plus rapidement, pendant que le momentum perdure. Mais aujourd’hui, je veux apprendre à apprécier le processus de création, et non le produit fini. Je n’ai pas appris à travailler ainsi, mais je suis prête à essayer, au nom du bonheur.

Je me souviens avoir eu les mêmes réflexions l’été des mes seize ans, alors que je marchais dans les montagnes appalachiennes. Chaque jour, j’étais inondée de prises de conscience semblables sur ma vie, et la façon dont je devrais la mener. À mon retour à la civilisation, je me suis sentie tellement différente, mais tellement sereine à la fois. Cette fois, je veux m’efforcer d’appliquer ce que je réalise ici. Taper ces pensées à l’écran se veut une sorte de contrat, pour m’obliger à ne pas oublier.