Ma maison

Ma maison

dimanche 20 mars 2011

à quelque chose malheur est bon

Lundi matin, je m’éveille, m’extirpe du lit et replace les draps, me fait chauffer du thé vert et du pain, allumes les haut-parleurs pour que Charlotte Gainsbourg puisse me chantonner ses mélodies maladroites qui me servent maintenant de café quotidien, fais brûler un peu d’huiles essentielles à la lavande question de stimuler agréablement mes sens, ouvre les rideaux et constate que le temps est gris, il pleut. Ici quand il pleut, les choses semblent étrangement au ralenti, plus calmes qu’à l’habitude. Ça fait du bien. Aujourd’hui, congé national, Olivier travaille, je suis seule et j’en profite.
Voilà un moment que je n’ai pas pu m’asseoir ainsi et penser à mes pensées afin d’analyser, de comprendre, de revivre et de clore certains évènements. Voilà 10 jours que le Japon a été secoué par sa pire catastrophe depuis la Deuxième Guerre mondiale, et depuis 36 heures seulement, je me permets de dormir sur mes deux oreilles, de souffler un peu. Avant cela, chaque jour le même dilemme, la même angoisse. Partir ou rester. Je ne voulais pas partir. Mais parfois cette option semblait la plus invitante, celle dans laquelle je voulais me blottir, pour que la nervosité disparaisse, et que je puisse me sentir à nouveau comme un humain, et non comme une victime. La semaine dernière est sans doute la plus éprouvante que j’aie vécue depuis des années. Les derniers jours ont été ravageurs pour l’état d’épanouissement que je me construisais lentement mais surement depuis les dernières semaines, ce tremblement de terre a secoué ma paix d’esprit et l’a emportée avec elle dans ses vagues cruelles et sans pitié. Je blâme même cette histoire pour mon premier cheveu blanc, un tout petit sur le côté de ma tempe, qui me grimace et me rappelle que la vie ne s’est pas arrêtée, que l’horloge continue toujours de battre les secondes. Me voilà vidée, perdue, hésitante, perplexe. Je ne sais plus trop comment aborder mon quotidien ici, je redoute cette terre qui semble maintenant revenue au calme, une partie de moi est constamment éveillée et prête à se réfugier à quelque part.
Lundi dernier, alors que nous vivions les premiers jours suite au désastre, nous avons décidé d’aller au lit très tôt, d’essayer de dormir le mieux possible, pour éviter de s’épuiser au cours de la semaine. Mais malgré nos intentions, au beau milieu de la nuit, vers 3 heures du matin, mon cœur a bondi, une alarme stridente hurlait près de notre fenêtre, et on entendait des gens crier, de la panique dans la voix. Nous avions l’ordinateur allumé juste à côté du lit, et Olivier parcourait frénétiquement les sites de nouvelles pendant qu’alarmée et tremblant de tout mon corps, je collectais nos passeports et nos portes-feuilles. En sortant de notre appartement, en pyjamas, l’odeur poignante de fumée m’a tout de suite fait comprendre. J’ai levé la tête pour apercevoir un homme au sixième étage, la tête émergeant de son appartement en flammes, qui criait. Des gens, de leurs étages respectifs, lui répondaient des choses, et entendant déjà les camions de pompiers approcher, j’ai déboulé à toute vitesse les escaliers de secours, me couvrant la bouche du mieux que je le pouvais. Une fois dans la rue, je me fis à frissonner violemment, parce que j’étais dehors sans manteau, mais surtout parce que s’en était trop, je ne me sentais pas assez forte pour affronter une seconde tragédie, perdre cet appartement et tout ce qu’il contenait ferait faiblir ma clarté d’esprit. J’ai passé des heures, assise dans les marches d’un restaurant de sushis situé à deux coins de rue de notre maison, à attendre, rongée par cette idée : « si jamais… ».
Nous avons finalement pu regagner notre appartement alors que le jour se levait, épuisés, ébranlés.
Deux jours plus tard, j’ai passé la porte de mon appartement pour m’apercevoir que nous n’avions ni électricité ni chauffage. Il avait neigé toute la journée, nous avons donc du attendre quelques heures dans la noirceur de notre cuisine, avec notre manteau d’hiver sur le dos, jusqu’à ce le tout revienne.
Toutes ces péripéties sont lourdes à porter, vécues si proches les unes des autres. Mais ce matin, je suis toujours là, debout et en santé. J’ai annulé le vol que j’avais réservé jeudi dernier pour Vancouver, je suis toujours ici, et j’espère ne pas me tromper lorsque je stipule que le meilleur est à venir. Parce qu’il nous serait impossible de quitter de manière si précipitée tout ce que nous avons pris tellement de temps et d’argent à bâtir, cette maison, nos emplois, l’argent qu’ils commencent à rapporter, toutes les larmes, tous les cris, tous les moments difficiles par-dessus desquels nous sommes passés, avec en tête l’espoir que bientôt, nous récolterons les fruits de nos récoltes. Osaka n’est pas menacée par cette catastrophe pour le moment, et peut-être ne le sera-t-elle jamais. Nous ressentons par contre la nervosité, l’instabilité du pays jusqu’ici, mais nous tenons à cette aventure, malgré tous les cratères dans la route. Ce voyage ne nous fait pas vivre les aventures que nous nous étions imaginées, mais il nous fait vivre, et j’ose croire qu’il nous fait grandir, qu’il nous rend plus forts et tant qu’individus. Espérons qu’il nous rapporte davantage au bout du compte que ce que nous avons donné.

dimanche 13 mars 2011

Stupeur et tremblements

J’étais au travail, dans la sale des employés, en train de préparer des fleurs en papier mâché, avec deux autres employés, quand j’ai commencé à me sentir très étourdie et prise de fortes nausées, comme si j’étais sur un bateau au milieu de fortes vagues. J’ai levé les yeux vers les deux employés qui étaient aussi occupés à d’autres projets devant moi, mais ceux-ci n’ont pas levé les yeux vers moi alors je me suis dis que c’était vendredi, que j’étais très fatiguée, et que peut-être que je couvrais un rhume. Mais quelque chose me disait que ce n’était pas seulement moi, que la force et la surprise de mon malaise étaient trop soudaines pour sortir de nul part. Alors j’ai dit « I feel like I’m on a boat » et à peine après avoir terminé ma phrase, les deux autres employés se sont exclamés, l’air aussi soulagé que le mien « Oh my god you felt it too! », et nous avons réalisé à ce moment que nous venions de vivre un tremblement de terre. Ce qui était étrange, c’est que la secousse était forte, mais que l'on la ressentait sous forme de vagues, très souples, et non de coups. Rien n’a bougé, rien ne c’est déplacé, c’est comme si notre bâtisse était un bateau et que nous venions de traverser une série de vagues. Venant tous de l'extérieur du Japon, nous étions secoués par ce qui venait de se passer. Lorsque des enseignantes japonaises sont entrées dans la pièce, quelques instants plus tard, elles ne semblaient pas bouleversées par cet évènement. Par contre, quelqu'un a mentionné que souvent, les tremblements de terre de ce genre sont des « aftershocks », comme les poussières qui volent dans l’air après que quelqu’un aie éternué. Alors une employée a ouvert son téléphone et a consulté les sites de nouvelles pour voir si l’on parlait d’un tremblement de terre dans la région. C’est à ce moment que l’on a appris qu’un gros tremblement de terre avait frappé Tokyo. Mais à ce moment, aucune information supplémentaire ne nous a été donnée. C’est en rentrant à la maison le soir que j’ai appris, comme le reste du monde, ce qui venait de se passer. Le Nord du Japon était complètement paralysé par la force des secousses et par le tsunami qui avait suivi. À Tokyo, ville qui semblait prête à affronter de telles situations, certaines régions sont gravement atteintes, des magasins sont ruinés, les lignes de trains se sont arrêtées.
Pour nous, c’est extrêmement bizarre de lire de telles nouvelles par le site internet de BBC et d’être si proches des évènements à la fois. Probablement que partout autour de nous, ici dans cette ville, des gens craignent le pire pour leurs amis ou leur famille, d’autres vivent des deuils déchirants, et pourtant, on n’y voit rien. Pas un signe de bouleversement. La vie continue et ne s’est même pas ralentie. Aujourd’hui c’est dimanche, le soleil brille, les gens font leurs courses et accrochent leurs futons sur leurs balcons, comme à l'habitude, comme nous. Demain les enfants se rendront à l’école dans leurs uniformes et leurs chapeaux ronds, les femmes troqueront leurs pantalons en coton pour leurs jupes et leurs talons, les hommes en vestons s’entasseront fatigués dans les wagons de trains, et ainsi va la vie. La force tranquille des Japonais continue de me surprendre alors que pendant qu'une partie du pays s'effrondrait sous un mur d'eau, on entendait à peine les gens murmurer sur les quais des gares.