Ma maison

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vendredi 11 février 2011

Les hauts et les bas d'une vie à l'étranger

Le retour au travail après mon congé de maladie ne s’est pas exactement déroulé dans l’excitation et le bonheur. Le début de ma semaine fut terrible, on m’a envoyé faire du remplacement dans une école littéralement au milieu de nul part, j’ai mis deux heures pour me rendre à l’extrémité d’une ligne de train et quand je parle de lignes de train, il ne faut pas penser à la station Henri-Bourassa sur la ligne orange de Montréal, mais plutôt à si une ligne de train se rendait jusque dans un rang à Nicolet, Trois-Rivières. En sortant du métro, impossible de percevoir le moindre son ou la moindre voix, et au Japon, un tel vide est loin de sembler paisible. De tels endroits au Japon existent avec peine sur les cartes et encore moins dans les consciences japonaises. À l’heure du lunch, avec nul part ou aller d’autre que le petit centre commercial dans lequel se trouve l’école, je me suis promenée entre les magasins vides et dépourvus d’articles d’intérêt, et j’ai finalement aboutie dans les toilettes publiques, ou j’ai pris mes pompes en secret, habitée par un sentiment d’angoisse extrêmement désagréable. J’avais envie de pleurer, j’étais assise sur le couvercle d’une toilette, j’écoutais le haut-parleur au-dessus de moi cracher You Can’t Hurry Love de Phil Collins en boucle, je n’avais aucune idée d’où je me trouvais, je voulais que la journée se termine et je voulais juste monter dans le prochain métro jusqu’à Bentencho, prendre mes jambes à mon cou jusqu’à la maison, manger, choisir une émission de la télésérie The Office et m’endormir avant la fin de l’épisode. Tout l’après-midi, je l’ai passé comme un robot à essuyer des mains, des larmes, des dégâts et des bols. Par-dessus tout, lors de mon voyage de retour vers Bentencho, je me suis rendue compte à mi chemin que je n’avais pas assez d’argent pour payer tous les trains pour me rendre jusqu’à la maison. Rendue à cinq stations de chez moi, j’ai du changer de compagnie de train et il me manquait 40 yen, soit environ 50 cents. Rien à faire, il n’y a qu’une banque ou il m’est possible de retirer de l’argent et elle se trouve à plusieurs stations de métro d’où j’étais. J’ai dû appeler Olivier, lui demander de venir me rejoindre avec de l’argent afin que je puisse payer pour les dernières stations de mon parcours, j’ai attendu debout, à la gare de train, à moitié endormie, les mains encore tachées de peinture, les larmes aux yeux, jusqu’à 20 heures. Inutile de préciser que notre voyage de retour jusqu’à la maison s’est déroulé dans un silence pesant. Si j’avais été lui, je n’aurais pas essayé d'alimenter la conversation non plus. J’étais livide. J’étais épuisée. J’avais froid. J’avais faim. Rien de plus à ajouter. Heureusement, une fois à la maison, j’ai jeté mon uniforme au fond du placard et j’ai enfilé mon pyjama, Olivier avait préparé un repas délicieux et mon thé préféré. C’est en mangeant que j’ai retrouvé le sourire et la parole.
Le lendemain, je me suis levée avec la pensée rassurante que les choses ne pouvaient possiblement être pires que la journée précédente. Je n’avais qu’une petite demi-heure de train à faire avant d’arriver à ma destination, une nouvelle école ou j’allais encore faire du remplacement pour la journée. J’ai marché rapidement jusqu’à petite croix sur la carte que j’avais fait imprimé soigneusement quelques semaines auparavant, sachant que je devrais m’y rendre éventuellement pour remplacer. Il pleuvait ce matin-là, une de ces pluies automnales qui transperce jusqu’aux os et qui fait trembler à moins d’un bain ou d’un thé brûlant. Une fois devant l’édifice en question, j’étais perplexe. Aucun signe d’enfants aux alentours, aucun vélo, aucun signe avec le logo de l’école. Pourtant j’étais au bon endroit, j’étais prête à le jurer. J’ai fait le tour de la bâtisse à la recherche d’une autre entrée, j’ai marché un coin de rue plus loin, un coin de rue à droite, derrière, puis à gauche, aucun signe de l’école. À ce point, l’encre du papier que je tenais entre mes mains frigorifiées coulait et effaçait mes repères, mes lèvres tremblaient de froid, de nervosité et d’épuisement. Je décidai de me réfugier sous le toit d’un bloc appartement et j’appelai l’école. La réceptionniste, une fois avoir écouté mon histoire, m’appris que j’étais à l’ancienne école. Ils avaient déménagé dans une nouvelle école en octobre et on avait oublié de remplacer la carte du trajet dans les documents du bureau-chef. La réceptionniste tentait de m’expliquer comment faire pour revenir sur mes pas et prendre un autre chemin, mais son anglais n’était pas du tout assez bon pour pouvoir m’être utile. Je fis semblant de comprendre et raccrochai. Je me recroquevillai sur moi, assise par terre, la tête dans les jambes, et je me mis à pleurer. J’étais trempe, j’avais trop marché et voilà que j’en avais pour une bonne demi-heure de marche dans cette pluie glaciale, je n’avais aucune idée comment faire pour trouver cette école, j’étais prête à étrangler quelqu’un. Je voyais noir tellement j’étais contrariée. J’ignore comment je fis pour finalement sonner aux grilles de l’école une vingtaine de minutes plus tard, mais j’allai m’enfermer à la salle de bain dès mon arrivée. Je tentai d’essuyer mon visage et mes cheveux avec peine, je pris plusieurs grandes respirations pour tenter de me calmer, et je sortis pour finalement entamer ma leçon quelques minutes en retard. Heureusement que mes élèves sont adorables. Heureusement que leurs éclats de rire sont aussi contagieux, heureusement qu’ils aiment autant donner des câlins et jouer dans les cheveux blonds de leur enseignante étrangère, heureusement qu’ils me regardent avec leurs beaux yeux en amande, heureusement qu'ils me laissent les bercer avant qu’ils ne s’endorment pour leur sieste, heureusement que je dispose d’une heure chaque jour ou je les regarde dormir, assise entre les matelas disposés dans la classe, heureusement que je caresse leur cheveux soyeux et leurs joues roses, heureusement qu’ils chantent des chansons à tue-tête en m’entraînant par la main avec leurs sourires parfois dépourvus de dents, parce qu’autrement tout ces déplacements et cet épuisement n’en vaudrait pas la peine. À cause d’eux, j’ai la force de rentrer à la maison avec ce qu’il me reste de bonne humeur pour le partager avec Olivier, rire, lui raconter des histoires et lui apprendre de nouvelles chansons qui le font rire et qui nous convainquent tous les deux que je suis la bonne personne pour le boulot.
Le jour suivant, je travaillais à l’école du près du métro Temma, celle que je préfère parce qu’elle n’est qu’à cinq stations de la maison et parce que c’est celle ou je me sens le mieux, dégageant l’atmosphère la plus invitante et disposant du personnel le plus agréable. Dans certaines autres écoles, l’atmosphère peut parfois être étrange, voire même inconfortable, j’ai de la difficulté à soutenir la plus conventionnelle des conversations dans la salle des professeurs. Mais pas à Temma. À Temma, les professeurs sont pétillants, amusants, ils sont invitants et faciles d’approche. À peine deux minutes après mon arrivée, le responsable de l’école m’a dit que mon patron m’attendait l’autre côté de la rue, au bureau-chef, pour un entretien privé. Je savais que c’était pour me donner de la rétroaction sur les semaines passées. J’étais intriguée. J’attendais cette conversation depuis un moment déjà, sachant que j’étais la première employée que la compagnie engageait sans expérience directe avec l’enseignement d’une langue seconde. Les commentaires de mon patron m’ont apporté un réconfort et un élan de motivation surprenants. Il m’a dit qu’on avait dit de moi que j’étais A Natural avec les enfants, qu’il n’y avaient que de bons commentaires à mon sujet à travers les écoles. Quelle bonne nouvelle pour cette québécoise de vingt-trois ans qui vient à peine de débarquer au Japon, qui n’a aucune idée comment ce boulot et ces responsabilités lui ont miraculeusement tombé dans les bras, qui trouve souvent qu’elle en fait trop ou trop peu, qui se trouve bien souvent maladroite lorsqu’elle doit apprendre tous les prénoms, toutes les chansons et les danses préférées et ses élèves, leurs allergies et leurs phobies, les détails de leurs personnalités et la façon d’amasser le tout pour enseigner un contenu intéressant et pertinent. Voilà tout un défi. Mais je peux déjà admirer les changements que ces responsabilités marquent en moi. Je grandis beaucoup. Peut-être qu’à mon retour à Montréal, je ne sentirai plus le besoin de rallumer ma lampe de chevet le soir, pour être certaine que rien ne se cache sous mon lit…ou peut-être que mon trop-plein d’imagination transcende n’importe quelle leçon de vie et fait simplement partie de ce que je suis, intrinsèquement, malgré toute cette dose de passivité japonaise.

1 commentaire:

  1. I can relate so much.... J'ai eu ces genres de journées terribles dernièrement... et comme tu dis, certaines écoles nous font sentir comme des étrangères dans la salle des profs, parfois l'atmosphère est très lourde. Et comme tu le décris si bien, les enfants me font toujours sourire, et j'adore les bercer lors de la sieste ou de les réveiller... ces petits moments me font vraiment apprécier ce boulot, qui est vraiment demandant mais si enrichissant à la fois. Tiens bon, dans quelques semaine nous aurons notre propre classe... fini les cartes et se perdre dans le métro! xx

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