Ma maison

Ma maison

dimanche 3 avril 2011

Choc culturel ; trois mois plus tard

Partir. Partir ailleurs pour vivre autre chose. Découvrir, nourrir sa tête de nouvelles images, de nouveaux langages, de nouveauté. Partir pour se sentir loin et bien, pour respirer de nouvelles odeurs, pour sentir les rayons du soleil sur son corps d’une manière différente, pour voir des peuples vivre à leur manière. Partir pour mieux revenir peut-être. Tant de raisons de plier bagages et se lancer dans le vide.
J’aime de plus en plus les aéroports parce que pour moi, ils riment avec aventure, avec surprises, avec rencontres, avec découvertes. Et à travers ces sentiments, je jouis du seul fait d’exister.
Aujourd’hui plus de trois mois que je suis ici, au Japon, et que je mène une vie relativement normale. Comme tout le monde, je travaille, je cours les rabais à l’épicerie, je fais la sardine dans le train, je me demande quand l’été et les fleurs de cerisiers se pointeront définitivement, je mange beaucoup trop de riz blanc et de sucreries. Je trouve de plus en plus difficile de m’extirper de mes gestes quotidiens pour prendre conscience de tout le chemin parcouru jusqu’ici, de tout ce que j’ai accompli depuis que mes pieds se sont posés à Osaka, le 31 décembre dernier. Je ressens aujourd’hui beaucoup moins d’excitation, mais une certaine aise à vivre ici, même un certain engourdissement. Et cet engourdissement me fait peur. J’ai l’impression qu’à force de vivre dans cette ville dont l’âme se fait bien maigre, je perds la mienne. J’ai l’impression de m’être perdue à quelque part entre cette histoire de tremblements de terre et un quart de travail. Peut-être aussi que l’incroyable solitude des gens ici et leur aise à vivre renfermés sur leur conscience, les uns collés sur les autres, me rend inconfortable. Je me suis toujours considérée comme quelqu’un de plutôt indépendante et solitaire, j’ai toujours eu besoin de temps seule pour souffler, expirer, réfléchir sans devoir tenter de tout mettre en mots, me comprendre dans mes pensées. Mais on dirait que les Japonais entretiennent cette solitude comme par peur d’agir en groupes, peur de se prononcer, peur de faire un faux-pas ou par peur du jugement. Je sens que je dois combattre cette envie qu’a parfois ma conscience de se replier sur elle-même, parce que c’est si facile, parce qu’ici c’est comme ça.
Au cours des derniers jours, je me suis souvent surprise à rêver de la Thaïlande, cet endroit qui a marqué à jamais mon être en me faisant vivre des moments extraordinairement simples mais tellement colorés, m’offrant du coup un bonheur rempli de presque rien. Je veux me promener en motocyclette une autre fois, au bord de la mer, je veux me sentir vivante à nouveau, comme je m’étais sentie une fois, un masque et un tube au visage, des palmes dans les pieds, au milieu de des dizaines de bandes différentes de poissons, nageant dans une eau transparente, seule dans une baie turquoise, sentant la chaleur des rayons du soleil me réchauffer la nuque. Je veux posséder une autre fois le sentiment de liberté totale ressentie, en moto, perdue à travers les nuages cotonneux des hautes montagnes du Vietnam, sentant les gouttelettes du ciel se déposer sur mon visage alors que je les traverse.
Ce voyage au Japon n’en est plus un. Je vis ici, ma carte d’identification me rappelle chaque jour que je suis maintenant une résidente d’Osaka, et l’excitation me manque. Je pense que la fièvre de l’aventure est à son apogée, ma passion pour l’aventure coule maintenant dans mes veines, et la sédentarité m’étouffe. Je me rappelle mon inquiétude avant de quitter pour le Japon, le soir avant mon départ, alors je patinais avec ma sœur près de la maison, parce que je savais. Je savais le nombre de temps qu’il m’avait fallu pour me sentir bien à Montréal, bien dans mon quotidien, bien sans la pensée constante de quitter. Et je sais que mon retour sera aussi exigeant que le précédent. Mais le fait d’être installée ici, le fait de ne pas bouger m’aidera peut-être à accepter davantage mon retour au bercail, à la fin de l’été.
Hier, nous sommes allés à Kobe en train. De la gare de train, j’ai marché jusqu’au bord de la mer, me suis assise près de l’eau. Il faisait beau et le soleil transperçait l’eau, me permettant d’apercevoir des méduses, tout près de moi. Je les enviais. J’avais envie de leur crier ‘qu’est-ce que vous faites ici, sur le bord du quai, alors que vous avez toute la mer? Vous pourriez vous rendre jusqu’en Malaysie, rien ne vous retiens’. Puis j’ai réalisé que j’étais dans la même situation. J’ai terminé mes études universitaires, j’ai reçu mon diplôme il a quelques semaines, je suis ici par choix, pour l’expérience. Je pourrais être ailleurs mais je choisis d’être ici. Oui, c’est difficile. Oui, je ne me sens pas toujours bien. Oui, récemment ma famille me manque, mes amis me manque, la nourriture me manque, l’aventure aussi. Mais ce voyage en reste une, malgré sa métamorphose.

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