Ma maison

Ma maison

samedi 4 juin 2011

Le plaisir ne fait que commencer

Je marchais à grands pas dehors dans la nuit fraiche, le manteau du bout de mes bras, me servant de parapluie jusqu’au premier taxi. Il faisait chaud, les goutelettes d’eau arrosaient mes mains, mes pieds étaient mouillés. Je sortais d’une boîte de karaoke ou j’avais passé une partie de la nuit avec des amis, après un repas dans un restaurant traditionnel japonais, un izakaya. Ma première expérience complètement japonaise. Entourée d’amis japonais, accroupie autour d’une table basse dans une petite salle remplie de tatamis, dans un restaurant ou des dizaines de collègues, en bas, le visage et les oreilles écarlates, dans les salles voisines, faisaient tous la même chose que moi. Les gens parlaient fort, buvaient trop, et s’amusaient sans penser au lendemain. J’étais assise là, au beau milieu de cette pièce, prise d’un de ces moment de plus en plus rares ou j’arrive à m’extirper de l’instant pour avoir une vue d’ensemble. Qui aurait cru. Qui aurait pu prévoir que je me sente si bien, si chez moi, au milieu de tout ça. Absolument rien de ce décor ne me semblait gênant ou éblouissant. J’étais là, je souriais, j’écoutais, je faisais quelque blagues avec ma voisine de droite, je sirotais ma bière, grande buveuse que je suis. Je ne suis plus souvent observatrice du décor dans lequel je me fonds depuis les derniers mois, mais bien participante. Je suis parvenue à m’intégrer dans un monde que j’arrivais à peine à comprendre au début de l’hiver. Je suis parvenue à une étape de mon expérience ou je ne cherche plus à tout comprendre, à tout analyser à plus grande échelle. Les rencontres que je fais en tant que professeure sont si enrichissantes et diverses, je ne me permets plus de mettre les Japonais dans le même panier. J’ai le sentiment, pour l’une des rares fois dans ma vie, que tout est à sa place. Que je fais la bonne chose au bon endroit, et que rien autre importe. Je suis bien dans rien. Bien assise dans le train, à regarder le soleil rouge de juin se coucher près du Port d’Osaka, près de la maison. Je suis bien quand je rentre tard le soir dans mon appartement noir et que j’aperçois la grande roue d’Osaka scintiller au loin entre les blocs appartements, dans une des fenêtres de ma porte patio. Je suis bien quand je sens le regard insistant d’une vieille Japonaise ou d’un enfant sur moi, et que je ne me questionne plus sur ce qui cloche possiblement chez moi. Je suis bien à vélo, enfouie sous mes sacs d’épicerie, croisant une maman ou un papa, transportant sur son vélo sa famille au grand complet et ses courses. Je suis bien au travail, le visage appuyé sur une main, absorbée par les histoires qu’osent me raconter mes clients, un sourire espiègle sur les lèvres. Mais parfois je m’éveille la nuit, en sueur et le souffle court, pour m’assurer que je suis toujours ici. Mon départ me guettera toujours, du coin de l’oeil caché derrière un mur. Je sens sa présence mais joue la carte du déni pour continuer à apprécier pleinement ce que je vis ici. Mais le temps file. Le temps passe si vite et le sablier se vide, n’arrête jamais.

J’ai tellement appris que chaque bonne chose a une fin, mais je ne m’habitue jamais à dire au revoir à ce qui m’apporte tant de bonheur. J’aimerais être de ceux qui profitent sans s’attacher, mais je suis tombée dans la chaudière de la passion à ma naissance, l’attachement coule dans mes veines. Mais sommes-nous uniquement capables d’apprécier aussi bien les choses que nous savons perdues d’avance? Ma vie s’est chargée bien souvent de confirmer cette hypothèse. Je sais aussi que la seule façon que j’aie trouvé pour contrer ou attiser l’ampleur de mes émotions lors d’un départ est de plonger dans autre chose. Seulement cette fois-ci, je dois avouer que la motivation me manque. Ce que j’ai trouvé ici m’empêche de penser au prochain saut. Est-ce que le fait de vivre le bonheur du moment présent ne serait pas un couteau à double tranchants, empêchant du coup l’être de vouloir plus, donc de cultiver de nouvelles ambitions?

Au milieu de ces interrogations brille une perle rare, chaque jour elle brille et j’ignore combien de temps cela durera, mais je me compte chanceuse de même l’avoir aperçue ici, celle du bonheur. Rien de plus, rien de moins.

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