Ma maison

Ma maison

lundi 28 février 2011

Le bonheur, tout simplement

Le temps passe, chaque jour est un peu mieux, un peu plus confortable. Aujourd’hui, je regardais par la fenêtre de ma classe, et la vue m’était devenue si familière, même réconfortante. Le silence dans le métro, le bruit de mes clés dans la serrure de la maison, l’odeur de repas japonais dans le corridor, celle de notre repas dans l’entrée de mon appartement, les lumières qui scintillent toute la nuit et qui reflètent sur la glace de nos fenêtres, les tremblements de terre qui font vibrer les murs de notre maison régulièrement, tout semble faire partie d’une réalité qui n’est plus si nouvelle, mais à laquelle je m’attache beaucoup plus que ce que je croyais. Le bonheur qui m’habite en est un que je n’ai jamais connu auparavant, fait de rires d’enfants, d’une paix profonde, d’un sentiment de ne pas avoir besoin de quoi que ce soit pour se sentir vivante, complètement. Mon bonheur, je le trouve chaque jour au travail, dans le sourire d’Olivier, lorsque je croise mes propres yeux dans les vitres du métro, et que mon reflet me surprend, aujourd’hui plus habituée à apercevoir une chevelure aussi pâle et des traits comme les miens. Mon bonheur est aussi fait des balades en vélo à travers la ville, les cheveux dans le vent, le soleil de plus en plus chaud me réchauffant les yeux, le vent chatouillant mon cou et mon nez. Jamais je ne croyais pouvoir ressentir un bonheur dans les choses les plus banales, une gorgée de café le matin, un diner sur le bord de la Baie D’Osaka, entourée de jeunes familles et d’amoureux timides, me réveiller trop tôt un samedi matin et observer mon amoureux dormir paisiblement à mes côtés, contourner des masses de gens maladroitement à travers les rues du centre-ville le soir. Osaka est une ville merveilleuse, parce qu’elle offre toujours plus à celui qui s’y aventure assez, ou qui trouve le courage d’y rester malgré ses airs sévères, malgré son attitude intimidante. Ici j’ai appris à vivre et à être bien avec si peu, quel magnifique exercice. Surtout au Japon, où les gens sont suffoqués dans un monde de surconsommation.


Qu’il fait bon de vivre ainsi, satisfait du seul fait d’être là, je respirer, d’être jeune et d’avoir toute la vie devant soi, de se sentir libre de partir mais de rester parce qu’on est bien, parce qu’on vit avec peu mais on se sent plus vivant que jamais.
Je pensais qu’en venant ici, je serais prise à la gorge par l’envie de consommer, par la multitude de biens, mais rien de tout ça ne semble m’importer, maintenant que je peux me livrer, avec mon meilleur ami, à des découvertes fascinantes quand bon nous semble.
Vive Osaka, vive mon emploi merveilleux, vive mes étudiants qui m’apportent tellement à chaque jour, vive Olivier cet homme dont la tendresse et la sagesse font de lui quelqu’un de fort, quelqu’un de fascinant. Vive ce projet auquel nous avons tant tenu, vive nos cœurs qui battent, et puis c’est tout.

mercredi 23 février 2011

Aujourd'hui

Depuis lundi, quelque chose a changé. L'actrice semble soudain se fondre dans le décor et se submerger dans la pièce, elle se sent paisible, elle s'interroge moins, son environnement coule maintenant un peu plus dans ses veines, elle sent qu'elle s'y fait. Elle pénètre doucement dans cette trame qu'elle tatonne depuis un moment, consciente des implications de l'aventure. Elle sait que ce n'est pas un compte de fées, mais elle fabrique son bonheur avec ce qu'elle trouve, et ça lui suffit. Aujourd'hui, elle connait la chanson et se laisse glisser le long des notes, sachant que la fin n'est jamais très loin. Elle flotte, bien, comme suspendue dans le temps, loin de tout ce qui tracasse, dans un monde presqu'imaginaire, qui lui laisse s'imaginer que peut-être le moment durera éternellement.
Les bruits du métro qui longe les rails le matin, des cris d'enfants qui bourdonnent dans les oreilles des heures après les avoir entendu, du thé, du riz, beaucoup de riz, un vélo, un parc, le soleil qui se couche et qui brille sur les vitrines des grattes-ciels, un bain minuscule, le bruit des voitures qui passent sur l'autoroute, des hommes en complet, des enfants en uniforme, des femmes en collants, des masses qui s'entassent dans des wagons comme des sardines dans des filets de pêche, tout y est, chaque jour le dessin est refait, certains détails sont changés, mais le résultat est semblable. Cette mélodie, elle la connait si bien, mais elle sait qu'elle l'oubliera un jour. Elle sait que ce qu'elle croit aujourd'hui saisir et dont elle fait maintenant partie lui glissera des mains, que l'air changera, que les paroles s'évanouieront. Alors elle fredonne, avec légèreté, un refrain dont elle ne semble pas pouvoir se lasser.

dimanche 20 février 2011

le retour du balancier

Dimanche soir. Depuis mon dernier blog, presque dix jours se sont écoulés. La semaine dernière a été beaucoup plus intéressante, parce que ma santé s’est améliorée, et parce que j’ai passé la semaine à enseigner à l'école du métro Temma, à seulement cinq stations de la maison. Quel beau cadeau que de pouvoir se rendre si facilement et si rapidement au travail, c’est une chance que j’apprécie maintenant beaucoup plus qu’avant. Cette semaine, il a neigé. Lundi, toute la journée. Les enfants, comme les enseignants, étaient très émoustillés par le phénomène, plutôt inhabituel ici. La semaine s’est donc entamée sur une note de magie et d’excitation. Je me suis même surprise la tête dans une des fenêtres entrouvertes de la classe, pendant un des rares moments de calme de la journée, quand les enfants étaient occupés à fabriquer un drapeau imaginaire dans des morceaux de tissu, à fixer les flocons se déposer sur les toits des bâtisses près de l’école, bercée d’une tranquillité.
Je travaillais avec un groupe de plus vieux, qui représentent pour moi un défi de grandeur par-rapport aux bout-de-choux avec qui je travaille naturellement. C’était donc une semaine assez chargée, mais ma santé semble tout de même tenir le coup, ainsi que mon moral. Les enfants m’apportent cet enthousiasme qui est difficilement ébranlable. Ce qui semble le plus difficile de mon expérience ici, c’est d’essayer d’apprécier le voyage, l’expérience dans ce qu’elle représente, malgré le quotidien, malgré le poids lourd du manque d’argent et du travail exigeant et épuisant, physiquement et mentalement. Je ne me plains pas, je réalise la chance que j’ai d’avoir eu le courage et l’opportunité de venir ici, d’être tombée sur l’école pour la quelle je travaille, qu'eux aient pu m’offrir ce poste si rapidement, que j’aie pu trouver cet adorable appartement par hasard, et d’être ici avec une personne dont tous les aspects ne font qu’adoucir mes insécurités et solidifier ma force et ma persévérance. Avec lui, j’aime me promener en vélo à travers le quartier, j’aime découvrir de nouveaux marchés, goûter à de nouvelles saveurs, j’aime sentir l’excitation de cette aventure refaire surface dès que nous trouvons le temps et un peu d’argent pour explorer.
Demain, une autre semaine, un nouveau groupe, une nouvelle école, un nouveau trajet, un nouvel horaire. L’aventure se trouve pour moi principalement dans ces changements hebdomadaires qui me demandent une rapide capacité d’adaptation. Je pense que la température s’adoucira dans les prochains jours. Bientôt, certains arbres seront en fleurs. Bientôt, je pourrai ranger mon manteau d’hiver, mes mitaines et mon foulard, et ralentir mon rythme de promenade quand je marcherai vers le métro le matin, ou vers la maison le soir. Bientôt, quand je sortirai du travail, le soleil ne sera pas encore couché et je pourrai admirer sa révérence quotidienne entre les stations de train. Bientôt, je recevrai mon premier chèque et je pourrai enfin profiter des multiples petits délices que renferme cette ville.
Montréal, tu me manques parfois. L’authenticité de tes gens me manque. Ta vivacité me manque. La variété que tes multiples restaurants et épiceries me manquent. Voir des visages et des nationalités différentes habiter si harmonieusement à l’intérieur des mêmes quartiers me manque. Montréal, je m’excuse d’avoir tant souvent voulu te fuir. Je pense qu’à mon retour, je serai prête à vivre en toi, j’accepterai tes défauts et trouverai ma voie parmi tout ce que tu offres. Montréal, je pense que je commence à me sentir chez moi près de toi. Merci pour tes quatre saisons et ta façon de trouver en chacune d’elles quelque chose d’excitant, quelque chose de tellement vibrant. Montréal, aucune autre ne te ressemble, tu es unique, tu es charmante. Ne m'oublies pas.

vendredi 11 février 2011

Les hauts et les bas d'une vie à l'étranger

Le retour au travail après mon congé de maladie ne s’est pas exactement déroulé dans l’excitation et le bonheur. Le début de ma semaine fut terrible, on m’a envoyé faire du remplacement dans une école littéralement au milieu de nul part, j’ai mis deux heures pour me rendre à l’extrémité d’une ligne de train et quand je parle de lignes de train, il ne faut pas penser à la station Henri-Bourassa sur la ligne orange de Montréal, mais plutôt à si une ligne de train se rendait jusque dans un rang à Nicolet, Trois-Rivières. En sortant du métro, impossible de percevoir le moindre son ou la moindre voix, et au Japon, un tel vide est loin de sembler paisible. De tels endroits au Japon existent avec peine sur les cartes et encore moins dans les consciences japonaises. À l’heure du lunch, avec nul part ou aller d’autre que le petit centre commercial dans lequel se trouve l’école, je me suis promenée entre les magasins vides et dépourvus d’articles d’intérêt, et j’ai finalement aboutie dans les toilettes publiques, ou j’ai pris mes pompes en secret, habitée par un sentiment d’angoisse extrêmement désagréable. J’avais envie de pleurer, j’étais assise sur le couvercle d’une toilette, j’écoutais le haut-parleur au-dessus de moi cracher You Can’t Hurry Love de Phil Collins en boucle, je n’avais aucune idée d’où je me trouvais, je voulais que la journée se termine et je voulais juste monter dans le prochain métro jusqu’à Bentencho, prendre mes jambes à mon cou jusqu’à la maison, manger, choisir une émission de la télésérie The Office et m’endormir avant la fin de l’épisode. Tout l’après-midi, je l’ai passé comme un robot à essuyer des mains, des larmes, des dégâts et des bols. Par-dessus tout, lors de mon voyage de retour vers Bentencho, je me suis rendue compte à mi chemin que je n’avais pas assez d’argent pour payer tous les trains pour me rendre jusqu’à la maison. Rendue à cinq stations de chez moi, j’ai du changer de compagnie de train et il me manquait 40 yen, soit environ 50 cents. Rien à faire, il n’y a qu’une banque ou il m’est possible de retirer de l’argent et elle se trouve à plusieurs stations de métro d’où j’étais. J’ai dû appeler Olivier, lui demander de venir me rejoindre avec de l’argent afin que je puisse payer pour les dernières stations de mon parcours, j’ai attendu debout, à la gare de train, à moitié endormie, les mains encore tachées de peinture, les larmes aux yeux, jusqu’à 20 heures. Inutile de préciser que notre voyage de retour jusqu’à la maison s’est déroulé dans un silence pesant. Si j’avais été lui, je n’aurais pas essayé d'alimenter la conversation non plus. J’étais livide. J’étais épuisée. J’avais froid. J’avais faim. Rien de plus à ajouter. Heureusement, une fois à la maison, j’ai jeté mon uniforme au fond du placard et j’ai enfilé mon pyjama, Olivier avait préparé un repas délicieux et mon thé préféré. C’est en mangeant que j’ai retrouvé le sourire et la parole.
Le lendemain, je me suis levée avec la pensée rassurante que les choses ne pouvaient possiblement être pires que la journée précédente. Je n’avais qu’une petite demi-heure de train à faire avant d’arriver à ma destination, une nouvelle école ou j’allais encore faire du remplacement pour la journée. J’ai marché rapidement jusqu’à petite croix sur la carte que j’avais fait imprimé soigneusement quelques semaines auparavant, sachant que je devrais m’y rendre éventuellement pour remplacer. Il pleuvait ce matin-là, une de ces pluies automnales qui transperce jusqu’aux os et qui fait trembler à moins d’un bain ou d’un thé brûlant. Une fois devant l’édifice en question, j’étais perplexe. Aucun signe d’enfants aux alentours, aucun vélo, aucun signe avec le logo de l’école. Pourtant j’étais au bon endroit, j’étais prête à le jurer. J’ai fait le tour de la bâtisse à la recherche d’une autre entrée, j’ai marché un coin de rue plus loin, un coin de rue à droite, derrière, puis à gauche, aucun signe de l’école. À ce point, l’encre du papier que je tenais entre mes mains frigorifiées coulait et effaçait mes repères, mes lèvres tremblaient de froid, de nervosité et d’épuisement. Je décidai de me réfugier sous le toit d’un bloc appartement et j’appelai l’école. La réceptionniste, une fois avoir écouté mon histoire, m’appris que j’étais à l’ancienne école. Ils avaient déménagé dans une nouvelle école en octobre et on avait oublié de remplacer la carte du trajet dans les documents du bureau-chef. La réceptionniste tentait de m’expliquer comment faire pour revenir sur mes pas et prendre un autre chemin, mais son anglais n’était pas du tout assez bon pour pouvoir m’être utile. Je fis semblant de comprendre et raccrochai. Je me recroquevillai sur moi, assise par terre, la tête dans les jambes, et je me mis à pleurer. J’étais trempe, j’avais trop marché et voilà que j’en avais pour une bonne demi-heure de marche dans cette pluie glaciale, je n’avais aucune idée comment faire pour trouver cette école, j’étais prête à étrangler quelqu’un. Je voyais noir tellement j’étais contrariée. J’ignore comment je fis pour finalement sonner aux grilles de l’école une vingtaine de minutes plus tard, mais j’allai m’enfermer à la salle de bain dès mon arrivée. Je tentai d’essuyer mon visage et mes cheveux avec peine, je pris plusieurs grandes respirations pour tenter de me calmer, et je sortis pour finalement entamer ma leçon quelques minutes en retard. Heureusement que mes élèves sont adorables. Heureusement que leurs éclats de rire sont aussi contagieux, heureusement qu’ils aiment autant donner des câlins et jouer dans les cheveux blonds de leur enseignante étrangère, heureusement qu’ils me regardent avec leurs beaux yeux en amande, heureusement qu'ils me laissent les bercer avant qu’ils ne s’endorment pour leur sieste, heureusement que je dispose d’une heure chaque jour ou je les regarde dormir, assise entre les matelas disposés dans la classe, heureusement que je caresse leur cheveux soyeux et leurs joues roses, heureusement qu’ils chantent des chansons à tue-tête en m’entraînant par la main avec leurs sourires parfois dépourvus de dents, parce qu’autrement tout ces déplacements et cet épuisement n’en vaudrait pas la peine. À cause d’eux, j’ai la force de rentrer à la maison avec ce qu’il me reste de bonne humeur pour le partager avec Olivier, rire, lui raconter des histoires et lui apprendre de nouvelles chansons qui le font rire et qui nous convainquent tous les deux que je suis la bonne personne pour le boulot.
Le jour suivant, je travaillais à l’école du près du métro Temma, celle que je préfère parce qu’elle n’est qu’à cinq stations de la maison et parce que c’est celle ou je me sens le mieux, dégageant l’atmosphère la plus invitante et disposant du personnel le plus agréable. Dans certaines autres écoles, l’atmosphère peut parfois être étrange, voire même inconfortable, j’ai de la difficulté à soutenir la plus conventionnelle des conversations dans la salle des professeurs. Mais pas à Temma. À Temma, les professeurs sont pétillants, amusants, ils sont invitants et faciles d’approche. À peine deux minutes après mon arrivée, le responsable de l’école m’a dit que mon patron m’attendait l’autre côté de la rue, au bureau-chef, pour un entretien privé. Je savais que c’était pour me donner de la rétroaction sur les semaines passées. J’étais intriguée. J’attendais cette conversation depuis un moment déjà, sachant que j’étais la première employée que la compagnie engageait sans expérience directe avec l’enseignement d’une langue seconde. Les commentaires de mon patron m’ont apporté un réconfort et un élan de motivation surprenants. Il m’a dit qu’on avait dit de moi que j’étais A Natural avec les enfants, qu’il n’y avaient que de bons commentaires à mon sujet à travers les écoles. Quelle bonne nouvelle pour cette québécoise de vingt-trois ans qui vient à peine de débarquer au Japon, qui n’a aucune idée comment ce boulot et ces responsabilités lui ont miraculeusement tombé dans les bras, qui trouve souvent qu’elle en fait trop ou trop peu, qui se trouve bien souvent maladroite lorsqu’elle doit apprendre tous les prénoms, toutes les chansons et les danses préférées et ses élèves, leurs allergies et leurs phobies, les détails de leurs personnalités et la façon d’amasser le tout pour enseigner un contenu intéressant et pertinent. Voilà tout un défi. Mais je peux déjà admirer les changements que ces responsabilités marquent en moi. Je grandis beaucoup. Peut-être qu’à mon retour à Montréal, je ne sentirai plus le besoin de rallumer ma lampe de chevet le soir, pour être certaine que rien ne se cache sous mon lit…ou peut-être que mon trop-plein d’imagination transcende n’importe quelle leçon de vie et fait simplement partie de ce que je suis, intrinsèquement, malgré toute cette dose de passivité japonaise.

samedi 5 février 2011

Quand rien ne va plus

Samedi soir, j’écris réchauffée sous une couverte de polar, le nez bouchée, la tête qui résonne, les poumons en feu, les muscles endoloris. Je suis malade depuis bientôt deux semaines mais depuis jeudi, impossible d’aller travailler, je n’ai plus de force et ma toux est trop forte. J’espérais me sentir mieux cette semaine mais apparemment les choses doivent s’aggraver avant de se dissiper. Hier j'ai dû me rendre à l'urgence parce que ma fièvre était trop élevée et le médecin m'a diagnostiqué l'Influenza.Voilà probablement le plus gros des inconvénients à travailler avec de jeunes enfants chaque jour ; on essuie des nez, des fesses, des bouches et des mains toute la journée, et malgré mes précautions, on tombe malade. Le truc avec mon emploi, c’est que je suis techniquement enseignante d’anglais langue seconde, mais en réalité, je suis aussi infirmière, arbitre, maman, clown, gardienne, police, concierge et psychologue à la fois. Chaque journée de travail en parait physiquement davantage comme cinq, et chaque vendredi, je rentre à la maison paralysée de fatigue. J’espère m’habituer à ce rythme de vie, et pouvoir apprécier davantage ma vie ici dans les semaines à venir.

En attendant, je suis passée la semaine dernière devant une boutique de souliers en solde, et ma curiosité m’a poussé à entrer me rincer l’œil. Une fois à l’intérieur, j’ai même fait plus, j’ai acheté une paire de bottes à 2,000Yen (l’équivalent de 25$ ) de style TRÈS japonais : résultat ?

Les bottes sont un peu trop petites pour moi, et en toute honnêteté, je pensais que je finirais par m’habituer à me voir porter des choses différentes ou qui me ressemblent moins, mais je me sens toujours aussi ridicule quand je les porte. Je me sens costumée, je me sens comme une drag-queen, impossible ce porter cette foutue paire de bottes sans perdre ma crédibilité. Je les trouve trop tout, trop haute, trop poilue, trop petite, trop quétaine pour m’y sentir confortable. Il est vrai qu’à côté des japonaises de mon âge, je dois passer pour un tom-boy. Mon téléphone cellulaire n’est pas couvert de brillants, mes cheveux ne sont jamais parfaitement coiffés au fer à friser, je ne porte pas de faux-cils, je ne porte de talons hauts et mes bottes sont couvertes de poussière parce que je passe au moins une heure par jour au parc à courir avec les enfants, mes gants sont troués, mes pantalons de travail sont déjà délavés, bref, je n’ai rien d’une demoiselle aux yeux des femmes, et probablement des hommes d’ici. Mais mon allure est le dernier de mes soucis. Je suis tellement différente et je le sais, et je l’accepte et j’aime cette différence. Je ne vis pas comme les japonais, sans jamais lever les yeux de peur de croiser le regard de quelqu’un, mon regard en cherche sans cesse un autre, je suis peut-être moins polie et moins rigoureuse qu’eux dans les protocoles, mais mes efforts sont honnêtes, mes paroles et mes gestes aussi. Je n’ai pas peur de dire ce que je pense, et je n’ai pas peur de lever les yeux quand je marche. Ici il y a une mode en vigueur, il faudrait que je filme une vidéo pour faire comprendre l’intensité du geste, mais je pense que les femmes trouvent cela féminin de se promener les pieds vers l’intérieur. Toutes les femmes n’ont pas les jambes croches, mais elles marchent toutes les pieds courbés vers l’intérieur. J’ai été abasourdie de voir un tel comportement, mais maintenant je comprends. Je comprends qu’il fait partie de toute cette culture de réclusion, de fermeture sur soi. C’est un phénomène très étrange mais les femmes ici croient sans doute que plus elles ont l’air fragiles et menues, plus elles sont attirantes. Aussi étrange que cela puisse me paraitre, je sais que la culture du Japon est encore grandement basée sur la reconnaissance des différentes classes sociales ainsi que la différence entre les sexes, et que différents traitements sont réservés à ces différentes catégories. Même au travail, je le remarque avec mes jeunes étudiants. Les filles sont si calmes, si respectueuses des règles, si polies, alors que les garçons sont agités, font à leur tête, confrontent leurs professeurs.
Je ne suis ici que depuis un plus d’un mois, alors mes observations auront encore bien le temps de dériver et de murir vers des conclusions peut-être moins radicales, mais en date d’aujourd’hui, ce que je croyais connaître et comprendre du Japon me semble bien vrai.