Ma maison

Ma maison

vendredi 28 janvier 2011

métro, boulot, dodo

Je suis assise un lundi soir à la table de mon appartement, j'écoute Billie Holiday fredonner I Thought About You langoureusement, et je compose ces mots entre une gorgée de thé ou une bouchée de ramen. Ma tête tourne et mes yeux se ferment malgré moi, à peine 21 heures et je suis prête a dormir. Enseigner à de jeunes enfants chaque jour de la semaine pendant neuf heures me draine plus que n’importe quelle activité jamais effectuée. Mais j'adore mes étudiants. Qu'ils aient deux ou neuf ans, nous trouvons une façon de se comprendre, de communiquer, et se s'apprécier. J'aime mes étudiants et ils sont l'unique raison pour laquelle j'accepte de me drainer physiquement et mentalement comme je le fais chaque jour. Et le soir, je quitte le travail dans la noirceur, je marche lentement à travers les ruelles qui me mèneront au train rapide, qui lui me berce jusqu'à la station près de mon appartement, et je prends le temps de décompresser, de respirer doucement, de regarder autour de moi ce qui se passe, ce que font les gens, ou ils vont. J'observe sans retenue les gens s'affairer sur leurs téléphones cellulaire ou leurs consoles portatives, je les fixe et m'assure de garder une copie en mémoire.
Quand je rentre à la maison, je me sens chez moi. Mon appartement est beaucoup plus spacieux et charmant que ce je pensais trouver ici. Je suis agréablement surprise de pouvoir vivre dans un cocon aussi chaleureux.




La fin de semaine prochaine, j'irai m'acheter une bicyclette au marchand du coin pour une cinquantaine de dollars, et j'irai me promener davantage. La fin de semaine dernière, j'étais malade alors je me suis reposée dans mon nouveau lit, j'ai consommé une bonne dose de culture "westerner" en écoutant Harry Potter and the chamber of secrets dimanche, j'ai fait une épicerie pour la semaine, et j'ai terminé d'acheter les derniers détails pour l'appartement. Maintenant que j'ai tout ce qu'il me faut, des couteaux aux ouvre-boites, je pourrai profiter des fins de semaine prochaines pour trouver une école qui offre des cours de yoga en anglais, et enfin entamer mon apprentissage de cet art qui j'en suis convaincue, me ferait le plus grand bien.
Mes derniers jours ressemblent au quotidien de beaucoup de gens partout dans le monde ; je me lève le matin, me fait un thé, un œuf et des rôties que je mange en marchant vers le train. Je travaille du matin au soir avec acharnement et rentre à la maison à moitie assoupie, mange à ma faim, prends un bain, et me prépare pour le lendemain. Heureusement, je vis ce quotidien au Japon alors impossible pour moi d'être ennuyée pour le moment, je prends plaisir à vivre ces gestes chaque jour ici, il y a quelque chose d'extrêmement excitant dans le fait de prendre part à un quotidien ici, à Osaka. Les gens se rendent compte que je ne suis plus qu'une touriste. De plus en plus souvent, on s'adresse à moi sans retenue dans un japonais trop rapide et pas assez formel pour que je le comprenne, mais je suis toujours flattée par le geste, et fais de mon mieux pour pouvoir répondre quelque chose de cohérent. Bientôt, je recevrai ma carte de résidente japonaise. Une fois cette carte en vigueur, je deviendrai donc non résidente canadienne pour la première fois de ma vie. Si l'on m'avait dit un jour que je serais résidente japonaise à 23 ans parce que je travaillerais dans une école comme professeur de langue, je n'aurais rien écouté tellement l'idée semble loin de moi. Et dans toute cette montagne de nouveauté, je trouve le moyen de rentrer à la maison et je m'y sentir comme chez moi, de prendre le métro et de me sentir au bon endroit, au bon moment. J'imagine que certains malaises continueront de m'envahir à certains moments, mais au cours des derniers jours, même si l'on me voit comme un cheveu sur la soupe, je ne peux m'empêcher de croire que la soupe est plus gouteuse, plus riche ainsi.
Bientôt un mois que je suis ici, et parfois on dirait que je viens d'atterrir, d'autres fois on dirait que je suis ici depuis des mois. Mes sens vacillent toujours, mais je pense être davantage en mesure de recevoir paisiblement leur indécision.

mardi 11 janvier 2011

L'inconfortable entre-deux

Ce malaise identitaire me vient sans doute du fait que je ne sais trop sur quel pied danser quant à mon statut ici. Je ne suis plus qu'une touriste mais moins d'un citoyen, j'oscille continuellement entre les deux titres. Lorsque je me réveille dans ma chambre microscopique et dois sauter entre les bagages pour me rendre jusqu'à la porte, je me sens très touriste. Quand je descends les escaliers de ma station de métro sans même m'assurer de la direction, je me sens citoyenne. Quand je prends plus d'une demie-heure à choisir mon repas parce que je n'ai aucune idée ce que je commande, je me sens en voyage. Quand je rentre au dépanneur du coin et me dirige à toute vitesse vers la section des repas pré-emballés afin d'acheter mon dîner, je me sens citoyenne parce que comme tout le monde, je travaille, et comme tout le monde, je n'aurai pas beaucoup de temps pour manger sur l'heure du midi, mais je me sens à la fois voyageuse parce que je n'ai pas encore eu la chance de me faire un repas à la maison, et de mettre le reste dans des petits contenants question de sauver temps et argent. Quand je mange dans le métro et que l'on me dévisage parce que culturellement, les gens se sont pas à l'aise de manger dans des endroits publics qui ne sont pas des restaurants, je me sens très touriste. Quand on me pose une question en japonais et que je réponds dans la même langue, je me sens citoyenne.
Je crois définitivement que je préfère le sentiment de touriste ou d'étranger à celui de citoyen. Cet inconfort ne me gêne plus, il est même plutôt normal pour moi. Avant-hier soir, je revenais du centre-ville à pied jusque chez moi et j'ai vu dans une petite rue perpendiculaire à la rue principale sur laquelle je marchais, des lanternes, de la fumée et du mouvement. Après 21 heures dans ce quartier, il n'y a habituellement plus personne. J'ai décidé de m'aventurer dans cette ruelle, qui continuait sur des centaines de mètres, et qui était remplie de marchands qui vendaient des décorations quelconque, et les gens achetaient ces décorations. Il y avait aussi des gens qui vendaient des sucreries, d'autres des morceaux de viande ou des boules de pâte sucrée, bien populaires auprès des enfants, et irrésistibles pour moi. J'ai continué mon chemin jusqu'au bout de la ruelle, ou se tenait un temple. Habituellement, les portes des grilles donnant accès au terrain entourant le temple sont fermées à clé, mais ce soir-là, elles étaient ouvertes. Au milieu de la place, une immense boîte, plus haute que moi, était déposée et les gens y lançaient ce que j'assumais être des offrandes. Autour du temple, des gens assis et vêtus de kimonos offraient ou vendaient des branches touffues d'arbres et les gens décoraient les branches avec les décorations qu'ils avaient achetées. J'ai tenté de savoir quelle était la raison de cette célébration, mais même en cherchant sur le web, je n'ai pas trouvé. La place était bondée de monde, d'enfants, et je me faufilais entre eux, parfois je m'immobilisais, pour admirer cette fête inconnue qui rassemblait tant que familles japonaises en cet endroit, ce soir-là. De tels hasards sont pour moi tellement nourrissants, me rappellent ce que je fais ici, la raison pour laquelle j'ai décidé de venir travailler et m'installer ici plus qu'ailleurs. Me sentir étrangère face à un phénomène ou une culture m'apporte une sorte d'adrénaline douce, me fait sentir tellement vivante, me fait prendre conscience de mon existence et de celle des parfaits inconnus, qui eux vivent leur quotidien autour de moi, l'étrangère.
Mais j'arrive aussi à apprécier les petits plaisirs qu'apportent le quotidien. Plus tôt ce matin, je suis entrée après le travail dans un wagon de métro presque vide, avec moi dans ce train il y avait deux ou trois vieux japonais qui somnolaient, j'avais les écouteurs sur les oreilles et je fermais les yeux, et je prenais conscience de ma vie ici, de ma chance, de cette opportunité, et du quotidien qui ne le sera jamais vraiment pour moi ici, parce que mes sens ne sont toujours pas habitués, parce qu'ils sont tous tellement curieux d'amasser le moindre mot japonais, l'odeur d'un parfum rare, l'image d'un style vestimentaire d'une autre dimension, le regard insistant posé sur mes grands pieds ou mes cheveux d'Américaine.
Même s'il me suivent dans mes activités, ces questionnements sur mon statut ne m'empêchent pas de dormir la nuit. Je me considère chanceuse d'être plongée dans cette insécurité, parce qu'elle est enrichissante, et chaque jour je réalise un peu plus à quel point cette expérience me change et me fait grandir. Je gagne un peu plus de force et de sérénité à chaque épreuve, à chaque fois que je fonce et m'aventure à faire quelque chose qui me demande de l'audace. J'espère que ma bonne amie, qui se reconnaîtra sans doute, lira ces lignes et que cela suffira à la convaincre de se lancer dans le vide elle aussi, comme elle souhaite le faire depuis si longtemps, mais la peur de l'inconnu et de l'incertitude l'en empêche. J'espère qu'à travers mon voyage, elle prendra conscience que l'inconnu est sans aucun doute ce qui nous apporte le plus, ce qui nous fait grandir le plus.

mardi 4 janvier 2011

Le réflexe du caméléon

Les deux derniers jours se sont déroulés comme des montagnes russes. Hier, je me suis aventurée dans le métro pour me rendre à l'Aquarium d'Osaka afin d'admirer le plus gros bassin intérieur du monde, qui abrite des raies gigantesques et deux Whale Sharks. J'ai passé plusieurs heures devant ce bassin à admirer les poissons, me sentant comme l’un deux, comme faisant partie de ce bassin. Admirer les poissons m'a toujours fait beaucoup de bien, l'eau et l'air paisible des poissons me calment. À ma sortie, j’ai acheté un billet pour faire un tour dans la grande roue la plus haute du monde. La vue était impressionnante, je pouvais voir autour de moi les montagnes entourant la ville, les ponts, l'aéroport et l'étendue de la ville. Lors de mon voyage en métro pour retourner près de mon hôtel, je me laissais glisser par le wagon silencieux et vide, j’admirais par la fenêtre les quartiers à travers lesquels je traversais, les gens à vélo, et j’aimais mon nouveau décor. Aujourd’hui, à mon réveil, je pris le temps de bien coiffer mes cheveux, je mis même de l’ombre à paupières mauve autour de mes yeux, et appliquai deux couches de mascara au lieu d’une, question d’épaissir et l’allonger mes cils. Le réflexe du caméléon sans doute, me pousse à vouloir me mêler aux masses de jeunes femmes de mon âge qui dédient leur quotidien à prendre soin de leur apparence et à parader dans les rues étroites et bondées du centre-ville, question de se faire remarquer, question d’émaner de la masse. Je sais que je suis pour ces masses comme un cheveu sur la soupe, mais je ne peux m’empêcher de croire que l’on m’acceptera davantage malgré mes cheveux blonds, ma peau pâle et mes yeux clairs, si je prends la peine de me soigner de la même façon que ces filles. Cela fait rigoler Olivier, qui me regarder en fronçant les sourcils, et qui me demande l’air perplexe si je tiens vraiment à prendre part à ce cirque. Pour moi, il s'agit d’expérimenter, je prends un certain plaisir à tenter de me fondre en adoptant un style similaire à celui en vogue ici. Si j’étais en Arabie Saoudite, je porterais sans doute un voile, si j’étais en Inde, j’épilerais mes sourcils comme le font les femmes, si j’étais en Iran, je couvrirais mon corps mais prendrais soin de laisser paraitre sous mes pantalons flottants de jolis pieds aux orteils vernies. J’ignore si c’est par respect pour la culture ou uniquement dans un désir de ne pas trop émerger de la normalité ou des conventions, mais je tiens à m’intégrer de cette façon. Je pense qu’en agissant ainsi, il devient aussi plus facile aux gens de passer par-dessus la barrière de l'apparence du contenant pour s’intéresser au contenu. J'emporte partout avec moi mon livre de japonais au cas où j’oublierais certaines formulations ou certains mots de vocabulaire, et je m’efforce à parler en japonais le plus souvent possible. Ce soir, j’attends que la nuit tombe pour monter en ascenseur jusqu’au haut d’une des plus hautes bâtisses de la ville qui comporte un immense balcon, où je pourrai admirer les lumières multicolores d’Osaka. À mon arrivée en avion, le 31 décembre au soir, j’ai ouvert mes yeux alors que l’on amorçait notre descente et mon premier contact avec la ville fut cette vision, des milliers et petites lumières brillantes et scintillantes, de toutes les couleurs, partout jusqu’aux montagnes. Je veux prendre le temps d’aller admirer ce spectacle urbain plus attentivement, et laisser ce sentiment couler doucement dans mes veines, je suis au Japon, à l’autre bout du monde. Cette pensée ne me fait plus peur comme la nuit précédant mon départ, où le seul fait de comprendre le défi dans lequel je me lançais dans prochaines heures me faisait pleurer frénétiquement, me faisait frissonner, je tremblais seule, le visage enfoui dans mes couvertes, et j’avais peur. Peur d’avoir peur. Peur du noir qui m’attendait. Et je soir j'affronte le noir, pour m'avouer que dans cette noirceur, des centaines de milliers de petites lumières scintillent, et le spectacle est magnifique.

lundi 3 janvier 2011

Choc culturel : we meet again

17h45, je me réveille d'une sieste de 2 heures, étourdie, frigorifiée. Il me faut quelques secondes pour me souvenir que je ne me trouve pas dans ma petite chambre d’Outremont mais bien sur un tatami, dans une petite chambre remplie de valises ouvertes, au premier étage de l'hôtel le moins cher que j'ai pu trouver dans tout Osaka, soit sans chauffage, même lorsqu'il fait tout près de zéro, comme aujourd'hui. Ce matin, je suis allée marcher dans la ville. J'ai refait le chemin que j'avais entame hier à 22h, à mon arrivée dans le quartier, mais j'étais trop fatiguée et étourdie pour comprendre et assimiler mon nouveau décor, et tout était fermé. Ce matin aussi, au jour de l'an, beaucoup de magasins étaient encore fermés mais cela n'a pas empêché des milliers de Japonais de s'aventurer au centre-ville et braver le froid pour aller courir les spéciaux sur les chapeaux, les sacs ou les manteaux, annoncés par de jeunes Japonaises au look indescriptible. Ici, un Québécois perd tous ses repères. La ville et son énergie me fait penser à une chanson de Owl City ; les gens sont colorés, exagérés, les filles sont trop maquillées, trop coiffées, elles ressemblent presque toutes a des poupées et les garçons sont presque tous aussi agencés que les filles. Les magasins ont leur haut-parleurs a l’extérieur alors une trame sonore nous est imposée le long des rues commerciales. Je me fais penser à Scarlett Johansson dans Lost in Translation, j’avance sans comprendre et sans me poser des questions, j’essaie d’enregistrer les images, les bruits, les visages que je vois. Le froid me gèle le bout des doigts et des orteils, j’enfonce mon visage dans mon foulard jusqu’au nez, laissant seuls mes yeux à découvert, mais cela suffit pour que les jeunes couples me dévisagent puis se tournent l’un vers l’autre et murmure quelque chose en souriant. Je ne suis pas étrangère avec ces regards curieux et avec les commentaires incompréhensibles des gens, la Chine m’avait bien appris à m’habituer à ce genre de situations, et à ne pas m’énerver parce que l’on me pointe du doigt. Je me demande si le temps me permettra d’avancer dans ces rues bondées et hyperactives sans me sentir aussi déstabilisée. Pour le moment, Osaka me plait, j’aime son énergie, j’aime la politesse des Japonais, leur bonne humeur, leur patience, mais je ne sais pas tout-à-fait encore comment me sentir ici.