Ma maison

Ma maison

samedi 18 juin 2011

Quand l'oiseau trouve son nid

Le temps était gris, le train avançait silencieusement à travers un mur de brume, et dans mon wagon, pas un bruit. Les gens somnolaient ou jouaient avec leur téléphone. La fenêtre au dessus de ma tête était entrouverte, et un léger vent me soufflait dans les cheveux. L'air a changé. Dehors, je retrouve les mêmes odeurs que lors de mon premier voyage en Asie. La première fois que j'ai mis les pieds en Asie, c'était à Bangkok. Pour la première fois, j'inspirais des pot-pourris d'odeurs qui deviendraient plus tard pour moi, l'odeur caractéristique de 'l'Asie'.
En sortant du train, il faisait presque noir. En attendant ma lumière verte au coin de la rue, j'ai remarqué que l'air était salin. Comme si j'étais à la mer. Parfois, quand le vent tourne, l'odeur du port d'Osaka, à quelques minutes de chez moi, devient forte. Comme il est agréable de respirer à plein nez l'air de la mer alors je me marche sous les rails de train terriblement bruyantes. Mon parapluie me protège à peine de la pluie délinquante qui vient de tous les sens. Le temps est presque frais, à peine humide malgré la pluie.

Je ne trouve pas les mots pour exprimer mon sentiment de désarroi et d'impuissance face à mon départ imminent. Quand un nomade met finalement les pieds à quelque part ou il fait bon être, à quelque part ou il ne se sent finalement plus étranger, doit-il continuer sa route ou s'arrêter?

La brume épaisse semble s'être emparée de mes pensées en même temps que la ville. Mon cœur me prie de rester, et ma tête ne sait plus quoi me dire. Elle semble avoir épuisée tous ses arguments. Je sais ce qui m'attend, le déchirement de lâcher la main à une chose qui m'apporte tant de bonheur, quitter les bras dans lesquels je suis si bien. À Montréal je survis, mais en Europe je vis et en Asie je fleuris.

Je laisse la pluie couler sur mes cheveux ondulés et se mêler à mes larmes salées, comme l'air que je respire.

jeudi 16 juin 2011

moment de grâce

Moment de grâce au beau milieu d'un jardin japonais, derrière un temple bouddhiste, un lundi après-midi d'été à Kyoto.

Au beau milieu d'une étendue d'eau, debout sur une pierre, je me faisais la plus petite possible pour observer les carpes se faire dorer le dos a la surface de l'eau, pour entendre le croassement des grenouilles dissimulées dans l'herbe tout près de moi, le gazouillement des oiseaux sur les branches, au dessus de ma tête. En tournant la tête, mes yeux se sont posés sur une tortue grise, qui se reposait, le corps coincé entre deux roches, dans un ruisseau où coulait de l'eau claire. Le soleil me réchauffait la nuque, l'absence de bruit urbain faisait bourdonner mes oreilles.

Assises au milieu d'un grand pont couvert à quelques mètres de moi, quatre vieilles japonaises, toutes coquettes avec leurs foulards de soie autour du cou, leur sac de cuir vernis et leur tout petit souliers, potinaient a voix basse pour passer le temps. Aucun autre témoin de cette scène magique que moi et elles. Je me sentais comme une intrus dans leur jardin secret. Je les ai rejoins, me suis assise près d'elles et j'ai admiré la vue en silence. De grand arbres aux feuilles vertes et rouges, des fleurs de couleurs pastel, des sentiers entre les bassins d'eau, un héron chassant habilement ses proies sur le rivage, des poissons orange et blanc, les rayons du soleil qui faisaient scintiller la surface de l'eau, un léger vent qui venait rafraichir cette journée chaude de juin. Mes sens étaient comblés et ma tête était remplie et vide a la fois.

Je me suis rappelé la dernière fois ou je m'étais sentie aussi sereine. J'avais 15 ans. J'étais assise dans un autobus voyageur, après une sortie de ski avec les élèves de mon niveau. Près de 17h, nous avancions vers le soleil qui se couchait et qui illuminait le ciel de rayons roses et jaunes. Je me souviens de ce moment comme si je l'avais vécu hier. J'avais dans les oreilles Babylon de David Gray, mes joues me piquaient en se réchauffant, ma tête était posée contre la vitre de l'autobus, et quelque chose s'est emparé de moi et a traversé mon corps comme un éclair. J'ai senti le bonheur le plus vrai, le plus beau m'envahir. J'ai vécu un instant de bonheur pur par surprise, et comme un papillon posé sur une épaule, avant même que j'aie le temps d'identifier le moment pour tenter de le capturer, il s'est faufilé doucement entre mes pensées et s'est dissipé.

Depuis, je parcours le monde la recherche de cet exact sentiment, qui est le plus authentique qui soit. Et voilà que huit ans plus tard, seule et perdue dans mes pensées une fois de plus, j'ai vu ce même moment se pointer le bout du nez, me sourire, me laisser le contempler quelques instants, pour me glisser des doigts.

Je me suis demandé si c'était ça la méditation. Apprendre à retrouver cet instant, apprendre à l'apprivoiser pour le conserver. C'est peut-être ça, l'art du bonheur.









samedi 4 juin 2011

Le plaisir ne fait que commencer

Je marchais à grands pas dehors dans la nuit fraiche, le manteau du bout de mes bras, me servant de parapluie jusqu’au premier taxi. Il faisait chaud, les goutelettes d’eau arrosaient mes mains, mes pieds étaient mouillés. Je sortais d’une boîte de karaoke ou j’avais passé une partie de la nuit avec des amis, après un repas dans un restaurant traditionnel japonais, un izakaya. Ma première expérience complètement japonaise. Entourée d’amis japonais, accroupie autour d’une table basse dans une petite salle remplie de tatamis, dans un restaurant ou des dizaines de collègues, en bas, le visage et les oreilles écarlates, dans les salles voisines, faisaient tous la même chose que moi. Les gens parlaient fort, buvaient trop, et s’amusaient sans penser au lendemain. J’étais assise là, au beau milieu de cette pièce, prise d’un de ces moment de plus en plus rares ou j’arrive à m’extirper de l’instant pour avoir une vue d’ensemble. Qui aurait cru. Qui aurait pu prévoir que je me sente si bien, si chez moi, au milieu de tout ça. Absolument rien de ce décor ne me semblait gênant ou éblouissant. J’étais là, je souriais, j’écoutais, je faisais quelque blagues avec ma voisine de droite, je sirotais ma bière, grande buveuse que je suis. Je ne suis plus souvent observatrice du décor dans lequel je me fonds depuis les derniers mois, mais bien participante. Je suis parvenue à m’intégrer dans un monde que j’arrivais à peine à comprendre au début de l’hiver. Je suis parvenue à une étape de mon expérience ou je ne cherche plus à tout comprendre, à tout analyser à plus grande échelle. Les rencontres que je fais en tant que professeure sont si enrichissantes et diverses, je ne me permets plus de mettre les Japonais dans le même panier. J’ai le sentiment, pour l’une des rares fois dans ma vie, que tout est à sa place. Que je fais la bonne chose au bon endroit, et que rien autre importe. Je suis bien dans rien. Bien assise dans le train, à regarder le soleil rouge de juin se coucher près du Port d’Osaka, près de la maison. Je suis bien quand je rentre tard le soir dans mon appartement noir et que j’aperçois la grande roue d’Osaka scintiller au loin entre les blocs appartements, dans une des fenêtres de ma porte patio. Je suis bien quand je sens le regard insistant d’une vieille Japonaise ou d’un enfant sur moi, et que je ne me questionne plus sur ce qui cloche possiblement chez moi. Je suis bien à vélo, enfouie sous mes sacs d’épicerie, croisant une maman ou un papa, transportant sur son vélo sa famille au grand complet et ses courses. Je suis bien au travail, le visage appuyé sur une main, absorbée par les histoires qu’osent me raconter mes clients, un sourire espiègle sur les lèvres. Mais parfois je m’éveille la nuit, en sueur et le souffle court, pour m’assurer que je suis toujours ici. Mon départ me guettera toujours, du coin de l’oeil caché derrière un mur. Je sens sa présence mais joue la carte du déni pour continuer à apprécier pleinement ce que je vis ici. Mais le temps file. Le temps passe si vite et le sablier se vide, n’arrête jamais.

J’ai tellement appris que chaque bonne chose a une fin, mais je ne m’habitue jamais à dire au revoir à ce qui m’apporte tant de bonheur. J’aimerais être de ceux qui profitent sans s’attacher, mais je suis tombée dans la chaudière de la passion à ma naissance, l’attachement coule dans mes veines. Mais sommes-nous uniquement capables d’apprécier aussi bien les choses que nous savons perdues d’avance? Ma vie s’est chargée bien souvent de confirmer cette hypothèse. Je sais aussi que la seule façon que j’aie trouvé pour contrer ou attiser l’ampleur de mes émotions lors d’un départ est de plonger dans autre chose. Seulement cette fois-ci, je dois avouer que la motivation me manque. Ce que j’ai trouvé ici m’empêche de penser au prochain saut. Est-ce que le fait de vivre le bonheur du moment présent ne serait pas un couteau à double tranchants, empêchant du coup l’être de vouloir plus, donc de cultiver de nouvelles ambitions?

Au milieu de ces interrogations brille une perle rare, chaque jour elle brille et j’ignore combien de temps cela durera, mais je me compte chanceuse de même l’avoir aperçue ici, celle du bonheur. Rien de plus, rien de moins.