Ma maison

Ma maison

mardi 11 janvier 2011

L'inconfortable entre-deux

Ce malaise identitaire me vient sans doute du fait que je ne sais trop sur quel pied danser quant à mon statut ici. Je ne suis plus qu'une touriste mais moins d'un citoyen, j'oscille continuellement entre les deux titres. Lorsque je me réveille dans ma chambre microscopique et dois sauter entre les bagages pour me rendre jusqu'à la porte, je me sens très touriste. Quand je descends les escaliers de ma station de métro sans même m'assurer de la direction, je me sens citoyenne. Quand je prends plus d'une demie-heure à choisir mon repas parce que je n'ai aucune idée ce que je commande, je me sens en voyage. Quand je rentre au dépanneur du coin et me dirige à toute vitesse vers la section des repas pré-emballés afin d'acheter mon dîner, je me sens citoyenne parce que comme tout le monde, je travaille, et comme tout le monde, je n'aurai pas beaucoup de temps pour manger sur l'heure du midi, mais je me sens à la fois voyageuse parce que je n'ai pas encore eu la chance de me faire un repas à la maison, et de mettre le reste dans des petits contenants question de sauver temps et argent. Quand je mange dans le métro et que l'on me dévisage parce que culturellement, les gens se sont pas à l'aise de manger dans des endroits publics qui ne sont pas des restaurants, je me sens très touriste. Quand on me pose une question en japonais et que je réponds dans la même langue, je me sens citoyenne.
Je crois définitivement que je préfère le sentiment de touriste ou d'étranger à celui de citoyen. Cet inconfort ne me gêne plus, il est même plutôt normal pour moi. Avant-hier soir, je revenais du centre-ville à pied jusque chez moi et j'ai vu dans une petite rue perpendiculaire à la rue principale sur laquelle je marchais, des lanternes, de la fumée et du mouvement. Après 21 heures dans ce quartier, il n'y a habituellement plus personne. J'ai décidé de m'aventurer dans cette ruelle, qui continuait sur des centaines de mètres, et qui était remplie de marchands qui vendaient des décorations quelconque, et les gens achetaient ces décorations. Il y avait aussi des gens qui vendaient des sucreries, d'autres des morceaux de viande ou des boules de pâte sucrée, bien populaires auprès des enfants, et irrésistibles pour moi. J'ai continué mon chemin jusqu'au bout de la ruelle, ou se tenait un temple. Habituellement, les portes des grilles donnant accès au terrain entourant le temple sont fermées à clé, mais ce soir-là, elles étaient ouvertes. Au milieu de la place, une immense boîte, plus haute que moi, était déposée et les gens y lançaient ce que j'assumais être des offrandes. Autour du temple, des gens assis et vêtus de kimonos offraient ou vendaient des branches touffues d'arbres et les gens décoraient les branches avec les décorations qu'ils avaient achetées. J'ai tenté de savoir quelle était la raison de cette célébration, mais même en cherchant sur le web, je n'ai pas trouvé. La place était bondée de monde, d'enfants, et je me faufilais entre eux, parfois je m'immobilisais, pour admirer cette fête inconnue qui rassemblait tant que familles japonaises en cet endroit, ce soir-là. De tels hasards sont pour moi tellement nourrissants, me rappellent ce que je fais ici, la raison pour laquelle j'ai décidé de venir travailler et m'installer ici plus qu'ailleurs. Me sentir étrangère face à un phénomène ou une culture m'apporte une sorte d'adrénaline douce, me fait sentir tellement vivante, me fait prendre conscience de mon existence et de celle des parfaits inconnus, qui eux vivent leur quotidien autour de moi, l'étrangère.
Mais j'arrive aussi à apprécier les petits plaisirs qu'apportent le quotidien. Plus tôt ce matin, je suis entrée après le travail dans un wagon de métro presque vide, avec moi dans ce train il y avait deux ou trois vieux japonais qui somnolaient, j'avais les écouteurs sur les oreilles et je fermais les yeux, et je prenais conscience de ma vie ici, de ma chance, de cette opportunité, et du quotidien qui ne le sera jamais vraiment pour moi ici, parce que mes sens ne sont toujours pas habitués, parce qu'ils sont tous tellement curieux d'amasser le moindre mot japonais, l'odeur d'un parfum rare, l'image d'un style vestimentaire d'une autre dimension, le regard insistant posé sur mes grands pieds ou mes cheveux d'Américaine.
Même s'il me suivent dans mes activités, ces questionnements sur mon statut ne m'empêchent pas de dormir la nuit. Je me considère chanceuse d'être plongée dans cette insécurité, parce qu'elle est enrichissante, et chaque jour je réalise un peu plus à quel point cette expérience me change et me fait grandir. Je gagne un peu plus de force et de sérénité à chaque épreuve, à chaque fois que je fonce et m'aventure à faire quelque chose qui me demande de l'audace. J'espère que ma bonne amie, qui se reconnaîtra sans doute, lira ces lignes et que cela suffira à la convaincre de se lancer dans le vide elle aussi, comme elle souhaite le faire depuis si longtemps, mais la peur de l'inconnu et de l'incertitude l'en empêche. J'espère qu'à travers mon voyage, elle prendra conscience que l'inconnu est sans aucun doute ce qui nous apporte le plus, ce qui nous fait grandir le plus.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire